Episode 1

18 Bran 995

Roxane accrocha son sac à l’arrière de la moto à l’aide d’une sangle qui faillit céder sous sa force et se tourna une dernière fois vers nous, un sourire nerveux aux lèvres.
ROXANE : Bon. Je crois que je suis prête.
FLUX : Fais attention à toi.
ROXANE : Ouais. Vous aussi.
VISALA : Ne t’inquiète pas, on ne risque rien ici.
ROXANE : Je voulais dire, ne faîtes rien de stupide.
VISALA : Oh.
Je me tournai vers Jose, qui murmurait quelque chose à l’oreille de Husker, pouffant déjà de rire. La Meastienne afficha un air amusé et enjamba la moto poussiéreuse.
ROXANE : Flux, ne laisse pas Visala t’entraîner dans les conneries de Jose. Visala, ne laisse pas Jose t’entraîner dans les conneries de Husker. Jose, n’écoute pas Husker.
HUSKER : Roxane, tout ira bien. Nous sommes à Dimzad ! Il n’arrive jamais rien de mal à Dimzad !
VISALA : A part la fois où Jose et Roxane ont tué des dizaines de...
HUSKER : A part cette fois, oui.
Cavil fit alors irruption et posa une main sur l’épaule de son frère pour le faire taire.
CAVIL : Concentre-toi sur ta mission, Roxane. Je les garde à l’oeil. 
ROXANE : Tu dis, ça, mais... Quand je vois de quoi ces crétins sont capables quand je les laisse sans surveillance ne serait-ce qu’une heure ou deux...
VISALA : Je crois qu’elle parle de nous, Jose.
JOSE : Ou de Flux, c’est difficile à dire.
ROXANE : J’ose à peine imaginer comment je vais les retrouver dans deux semaines.
JOSE : Je te promets qu’on essayera de pas provoquer une autre révolution...
CAVIL : La dernière tentative m’a suffi.
VISALA : Jose a déjà essayé de prendre le pouvoir à Dimzad ?!
CAVIL : Oh, non, pas lui.
HUSKER : J’avais beaucoup bu. Et c’était mon anniversaire !
Roxane ricana et fit gronder le moteur pour mettre fin à la conversation.
ROXANE : Amusez-vous quand même un peu, ok ?
HUSKER : Quoi, même pas un câlin d’au revoir ?
Pour toute réponse, Roxane disparut dans un nuage de poussière, nous laissant tous plantés là à observer sa silhouette plonger au loin derrière l’horizon. Cavil fut le premier à s’éloigner tranquillement vers l’hôtel de ville, laissant enfin à Husker le champ libre pour mettre fin au silence qui semblait l’étouffer.
HUSKER : Ok, parlons affaire !
FLUX : Ca commence.
HUSKER : Ne t’inquiète pas mon petit Flux, ça va te plaire aussi ! Suivez-moi.
Husker partit au pas de course en direction du saloon, imité quelques secondes plus tard par Flux qui avait sans surprise cédé à sa plus grande faiblesse -- la curiosité -- et le suivait d’un air nonchalant.
Seul Jose resta à mes côtés, attendant impassiblement que je sorte de mes pensées, le regard toujours rivé sur la route désertique qui s’étendait droit devant moi sur plusieurs centaines de kilomètres.
Je fronçai les sourcils, toujours incapable de répondre à la question que je me posais depuis quelques instants, et me tournai vers nos compagnons, qui ne m’entendaient probablement déjà plus.
VISALA : Une seconde, je croyais que Husker avait déjà le contrôle de Dimzad !

Husker posa une bouteille de bière poussiéreuse devant chacun de nous et déplia fièrement une grande carte de la région au milieu du bar, un sourire impatient aux lèvres.
HUSKER : Mes chers amis, je vous ai réunis ici pour vous présenter une opportunité unique, l’affaire de votre vie !
Flux poussa un soupire consterné, déçu de s’être si facilement laissé manipuler.
FLUX : Encore une ?
JOSE : Laisse-le finir, Flux, ça vaut peut-être le coup, cette fois.
VISALA : Vous savez, je pense que c’est exactement le genre de conversation que Roxane avait en tête tout à l’heure...
HUSKER : A seulement quelques kilomètres des portes de la ville nous attendent richesses, mystères et créatures légendaires !
Jose me mit un grand coup de coude, surexcité à l’entente des promesses de Husker.
JOSE : Des créatures légendaires, Visala !
Je me tournai vers Flux et lui adressai un sourire enjoué, moi-même de plus en plus enthousiaste à l’idée de laisser notre ami nous expliquer son nouveau stratagème douteux.
VISALA : Des mystères, Flux !
Le Meastien secoua la tête d’un air un peu amusé et retint une grimace en buvant une gorgée de bière.
FLUX : Je n’arrive pas à croire que vous vous soyez laissés convaincre si facilement... C’est à croire que vous ne le connaissez même pas.
HUSKER : Avez-vous déjà entendu parler de la cité disparue de Knaas ?
Flux posa sa bouteille et se pencha au-dessus la carte en fronçant les sourcils d’un air sceptique.
FLUX : Knaas ? Cet endroit n’est qu’une vieille légende.
HUSKER : Parce que jusqu’à maintenant, personne n’était parvenu à en trouver l’entrée.
FLUX : Je ne te crois pas.
HUSKER : Comme tu veux, Flux. Je suppose que nous nous partagerons le trésor tous les trois dans ce cas.
FLUX : Tu dois me confondre avec Jose, si tu penses vraiment me faire changer d’avis si facilement.
VISALA : Allez, Flux, peu importe si ce qu’il dit est vrai ou pas. C’est une aventure ! Ca va être pecc !
Flux me lança un regard consterné bien qu’attendri, comme je l’avais prévu.
FLUX : En admettant ne serait-ce qu’une seconde que tu ne mentes pas comme à ton habitude...
Husker afficha un sourire carnassier, conscient qu’il avait déjà gagné.
FLUX : Où se trouverait cette entrée ?
Je sautillai sur place, impatiente d'explorer cette cité mythique dont je n'avais jamais entendu parler avant ce jour.
VISALA : Roxane va nous tuer...
A suivre...

Episode 2

HUSKER : Carte ?
VISALA : Yep !
HUSKER : Sandwiches ?
VISALA : Yep !
HUSKER : Liqueur ?
VISALA : Yep !
FLUX : Je maintiens qu’emporter une ou deux bouteilles d’eau pour un voyage à travers le désert peut être judicieux.
Jose lui lança un regard dubitatif.
JOSE : Bien une idée à toi, ça, hein.
Husker poussa un soupire et rajouta rapidement une ligne à sa liste de provisions.
HUSKER : De la flotte, donc, pour Flux ?
J’attrapai la bouteille d’eau que me jetait Flux et la rangeai dans le coffre à côté des cinq bouteilles de liqueur de blé qui s’y trouvaient déjà.
VISALA : Yep !
HUSKER : Une pour Visala aussi, je suppose ?
VISALA : Hé ! Qu’est-ce que je suis censée comprendre ?
HUSKER : Que tu as, genre, dix ans ?
FLUX : Ce qui rend donc ton comportement la moitié du temps encore plus douteux...
VISALA : Je suis parfaitement en âge de boire autant d’alcool que je veux !
Husker secoua la tête d’un air condescendant et jeta un oeil à sa liste.
HUSKER : Excuse-moi. Qu’est-ce que tu voudrais boire alors ?
VISALA : Un thé glacé ou un soda je suppose ?
HUSKER : Bien ce que je pensais.
VISALA : C’est seulement parce que quelqu’un doit garder les idées en place pendant que vous vous défoncez à la liqueur !
Pour la première fois, Cavil se fit entendre, une voix grave et douce s’élevant du siège conducteur du 4X4 présidentiel (comme Husker tenait à l’appeler), qui trahissait néanmoins son impatience.
CAVIL : Est-ce qu’on peut enfin partir ? On sera rentrés ce soir, pas dans deux semaines !
FLUX : Je ne voudrais pas être pessimiste mais je ne serais pas aussi confiant à ta place. Après tout nous sommes en compagnie de Jose et Husker...
Il hésita un instant à poursuivre sa phrase lorsque son regard croisa le mien mais préféra à ma grande surprise m’épargner pour cette fois. Je me promis de tenter de lui rendre sa courtoisie plus tard si j’en avais l’occasion.
CAVIL : C’est moi qui conduis, donc je sais que je serai rentré ce soir, avec ceux qui seront montés dans la voiture.
JOSE : Moi je suis avec Flux sur ce coup-là. Je suis sûr de rien.
VISALA : Oui, moi aussi, je suis d’accord.
Au moins, Flux et moi étions quittes.
Cavil poussa un soupire qui ne masquait pas son sourire assuré et fit vrombir le moteur.
CAVIL : Grimpez.

VISALA : Je dois admettre que je suis un peu étonnée, Cavil : je ne pensais pas que tu nous accompagnerais.
CAVIL : Pourquoi, parce que je suis plus mou des frères Dimzad ? Parce que je suis aussi intéressant qu’un documentaire sur l’invention du sac en plastique ?
Je déglutis, m’étant attendue à une conversation plus facile.
VISALA : Les mots de Husker, pas les miens.
HUSKER : Oui, ce sont mes mots.
VISALA : En fait, maintenant que j’y pense, ce sont très précisément ses mots.
Cavil pouffa brièvement de rire.
CAVIL : Ce crétin raconte la même chose à tout le monde.
Il marqua une pause, ajustant ses massives lunettes de soleil dans le rétroviseur.
CAVIL : Quelqu’un doit bien s’occuper de Dimzad. Une ville peuplée presque exclusivement de criminels ne se gère pas si simplement. Et mon frère...
Il jeta un regard en coin à Husker, assis à côté de lui.
CAVIL : Vous connaissez tous mon frère.
Trois "oui" à peine audibles répondirent en coeur malgré les protestations de l’intéressé.
Cavil se moqua de lui d’un rire rauque et chaleureux avant de poursuivre.
CAVIL : Quand nous étions gamins, c’est moi qui devais le convaincre de m’accompagner à l’aventure. Vous n’avez aucune idée à quel point ce type était une mauviette.
Husker sembla sursauter, visiblement outré.
HUSKER : Hé !
JOSE : En fait j’imagine assez bien.
HUSKER : Vous avez fini ?!
Cavil ricana de plus belle, satisfait d’être parvenu à retourner la situation contre son grand frère.
CAVIL : Peu importe ce que nous trouverons là-bas, probablement rien, d’ailleurs, à en juger par la façon dont Husker obtient généralement ses informations...
HUSKER : A nouveau, hé !
CAVIL : ... c’est toujours une occasion d’oublier le boulot et de repartir à l’aventure.
Cavil mit un brusque coup de volant à droite, nous faisant quitter la route à peine visible sous la poussière et manquant tout juste de nous éjecter de la voiture lorsque les roues rencontrèrent sans douceur le sol rocailleux et inhospitalier du Désert de Ombres.

FLUX : Tu ne nous as toujours pas expliqué, Husker.
HUSKER : Expliqué quoi ?
Nous avions quitté Dimzad depuis plus de deux heures, et la chaleur devenait un peu plus agressive chaque minute.
FLUX : Qui t’a donné ces informations ?
HUSKER : Un de mes indics.
FLUX : Dois-je comprendre un ivrogne au bar ?
HUSKER : Client. Mais oui. Tu sais, j’ai parfois même presque envie de les appeler mes patients. L’alcool guérit leurs douleurs les plus profondes. Je suis presque un médecin, finalement.
FLUX : Presque, oui.
JOSE : D’après cette logique je suis presque astronaute.
VISALA : Pourquoi astron...
JOSE : J’en sais rien, moi, je suis pas astronaute !
CAVIL : Qu’est-ce que c’est que ça ?
Nous interrompîmes notre conversation pour observer au loin devant nous ce qui avait attiré l’attention de Cavil et nous sauta rapidement aux yeux alors que celui-ci ralentissait prudemment : à juste quelques centaines de mètres, au beau milieu du désert, gisait une créature immense, apparemment inerte même si je n’étais pas certaine de vouloir m’en assurer.
VISALA : C’est... C’est un serpent géant !
JOSE : Non, c’est juste un très, très gros serpent.
Je tournai vers Jose un regard perplexe.
VISALA : C’est exactement ce que j’ai dit.
JOSE : Non, un serpent géant est un monstre comme dans les bouquins que lit probablement Flux quand il s’ennuie, et les monstres n’existent pas. Celui-ci est juste un serpent normal, mais... Plus gros. Parce qu’il a surement plus mangé que les autres. Ou un truc comme ça.
FLUX : Je suis aussi surpris que vous de m’entendre dire ça, mais ce que dit Jose n’est pas entièrement dénué de logique.
JOSE : Voila.
FLUX : Certains serpents peuvent atteindre des tailles tout à fait spectaculaires en vieillissant.
JOSE : Ecoute l’expert.
FLUX : Ceci étant dit, je n’aurais jamais pensé qu’un tel spécimen puisse exister...
Je croisai les bras, un peu vexée, et tournai le dos aux deux Meastiens, ce qui aurait certainement demandé moins d’effort si je n’avais pas été assise entre eux sur la banquette arrière.
VISALA : Puisque vous êtes toujours d’accord pourquoi vous ne vous embrassez pas tant que vous y êtes ?
HUSKER : Est-ce qu’on peut partir du principe qu’on se fout un peu de ce que c’est tant qu’on ne fait pas partie de son menu ?
CAVIL : Il est mort.
Nous n’étions maintenant plus qu’à une cinquantaine de mètres de l’animal et un bref regard nous apprit que la dépouille était en effet déjà décomposée depuis longtemps, et que nous ne devions notre confusion initiale qu’aux massifs lambeaux de cuir qui couvraient encore le squelette desséché.
L’odeur macabre que la chaleur étouffante ne faisait qu’empirer nous attaqua en une vague presque visible avant même l’arrêt du 4X4, nous forçant tous à enfouir nos visages sous nos vêtements pour ne pas vomir.
JOSE : Dégueulasse.
VISALA : Glurot.
Le cadavre était encore plus impressionnant vu de si près, si grand que la bête n’aurait fait qu’une bouchée de nous ainsi que de notre véhicule si elle avait été vivante.
VISALA : Qu’est-ce qui a bien pu le tuer ?
FLUX : L’âge, probablement. C’est déjà incroyable qu’il soit resté en vie si longtemps, avec si peu de nourriture dans le désert.
JOSE : Sérieusement, tu as vraiment des livres sur les serpents ? Je disais ça pour rire, tu sais ?
FLUX : Je pensais que ce genre d’information faisait partie de la culture générale...
JOSE : Même Visala est vétérinaire et elle a pas l’air de savoir la moitié de ces détails bizarres.
VISALA : Je n’ai pas terminé mes études, tu te souviens ? Je m’y connais plus en chiens qu’en reptiles. Et un peu en chats aussi.
JOSE : Pourtant Gwaimihr...
VISALA : Est-ce qu’on doit vraiment reparler de ça maintenant ?
JOSE : Non, tu as raison, tout ce qu’il y a à retenir, c’est que Flux est bizarre de savoir tout ça.
CAVIL : Et que Husker nous a encore conduits au milieu de nulle part. Nous sommes précisément à l’endroit indiqué sur la carte. Et à moins que l’un d’entre vous aperçoive une cité disparue autour de nous...
HUSKER : Elle est disparue pour une raison, frangin, utilise un peu ton imagination !
Le sourire jusqu’aux oreilles, Husker s’approcha fièrement de la gueule du serpent pour nous révéler enfin la clé du mystère, qu’il avait sans doute voulu garder secrète pour un meilleur effet dramatique : se bouchant le nez d’une main, il se faufila entre deux des gigantesques crocs encore acérés et nous fit signe de le suivre. Jose fut le premier à se décider : haussant les épaules et m’attrapant par la main, il m’entraîna avec lui où aucune personne saine d’esprit ne l’aurait suivi.
Par chance, je n’appartenais apparemment pas à cette catégorie.
Husker attendit Flux et Cavil, qui nous suivaient de près, pour dévoiler d’un geste théâtral ce qu’il semblait bien soulagé d’avoir trouvé : un peu plus loin devant nous, la queue du serpent plongeait dans les profondeurs, servant de passage secret vers la fameuse cité.
HUSKER : Knaas.
VISALA : Merci. J’avais encore oublié.
JOSE : En même temps c'est difficile à retenir.

FLUX : Je suppose que vous comptez sauter... là-dedans ?
Arrivés au bord du précipice, nous risquâmes un regard vers le fond du tunnel, plongé dans l’obscurité la plus totale.
CAVIL : La descente est plutôt raide.
VISALA : C’est assez original comme passage secret, un toboggan.
Jose éclata d’un rire bref, tournant vers moi deux yeux pétillants d’enthousiasme.
JOSE : Visala, tu es un génie !
VISALA : Vraiment ?
Arrachant d’une main deux morceaux de peau qui pendaient au-dessus de nos têtes, il m’en tendit un et s’approcha du gouffre d’un pas impatient.
FLUX : Jose, es-tu certain que c’est bien prudent ?
Haussant les épaules, il se tourna une dernière fois vers nous.
JOSE : Probablement !
Poussant un cri de joie qui résonna autour de nous, il sauta sur sa luge improvisée et disparut dans les profondeurs.
Husker attendit quelques secondes que l’écho refasse place au silence avant de prendre à son tour la parole, affichant un air satisfait.
HUSKER : Je savais que c’était une bonne idée.
Voyant que personne ne s’avançait, je me positionnai à mon tour devant la pente.
FLUX : Visala...
Il poussa un soupire, conscient qu’il ne me ferait pas changer d’avis, puis m’adressa un sourire un peu perplexe.
FLUX : Fais attention, s’il te plait.
VISALA : Ne t’inquiète pas, ça va être pecc !
Sans un mot de plus, je plongeai à mon tour.
A suivre...

Episode 3

J’aperçus un halo de lumière devant moi et fus éjectée du tunnel sans douceur, terminant ma chute contre Jose, si brutalement que je l’entraînai rouler contre la pierre froide avec moi.
JOSE : Hé !
VISALA : Aïe, tu m’as mis un coup de pied !
JOSE : C’était un accident ! Et ça ne serait pas arrivé si tu ne m’avais pas foncé dedans !
VISALA : Qu’est-ce que tu fichais devant la sortie du toboggan, aussi ?!
JOSE : Je refaisais mon lacet, puisque tu veux tout savoir !
J’allais répliquer lorsque Husker nous tomba dessus, me mettant lui aussi un coup de pied dans la tête.
HUSKER : Merci d’avoir amorti ma chute les gars, mais Cavil était juste derrière moi, donc je me pousserais si j’étais vous.
Nous obéîmes rapidement, oubliant notre querelle, et nous tournâmes vers la sortie du tunnel, attendant le cadet Dimzad qui ne semblait étrangement pas arriver.
HUSKER : Au passage je crois que ton arc m’est rentré dans le ventre.
VISALA : Mauviette.
Impatient, Jose enfonça sa tête dans le tunnel et hurla à plein poumons les noms de nos compagnons introuvables :
JOSE : Cavil ! Flux ! Bougez-vous, on s’ennuie ici !
HUSKER : Maintenant que j’y repense, je crois bien avoir aperçu un croisement vers le milieu de la descente.
VISALA : Il faisait complètement noir, comment as-tu vu quoi que ce soit ?
Pour toute réponse, il tira sur son cigare qui semblait ne jamais rétrécir, éclairant très faiblement son visage souriant.
VISALA : C’était principalement rhétorique comme question.
JOSE : Rhéto quoi ?
HUSKER : Je vous expliquerai un jour. Mais pour le moment, allons trouver ce trésor.
VISALA : Et Cavil ? Et Flux ?
HUSKER : Eux aussi, oui.
Je sortis de mon sac à dos une lampe de poche que j’allumai en prenant la tête de notre petit groupe, avançant prudemment vers la sortie de la pièce dans laquelle nous avions atterri.
Empruntant un long corridor taillé dans la roche probablement des siècles plus tôt, nous débutâmes notre exploration hasardeuse dans un silence qui ne pouvait pas durer bien longtemps en compagnie de mes deux amis.
JOSE : Tu te souviens du temple dans la jungle, Visala ? Tu sais, avec les zombies. Ca me rappelle un peu ça.
VISALA : Oh, ce temple, j’ai failli le confondre avec un autre temple poussiéreux. Oui, ça me revient maintenant...
Jose se tourna vers Husker, l’air vaguement confus.
JOSE : Je crois que c’était du sarcasme. Elle fait ça des fois...
HUSKER : Vous ne m’avez pas raconté cette histoire.
JOSE : Vraiment ? Tu en es sur ?
HUSKER : Ca ne ressemble pas au genre d’anecdote que j’aurais facilement oubliée, Jose...
VISALA : Est-ce que c’est vraiment le moment ?
HUSKER : Oh, excuse-moi Visala, je ne pensais plus à notre emploi du temps si chargé. Où est donc passé mon sens des priorités ? Pourquoi me raconter quelque chose d’un minimum intéressant alors que ce couloir est déjà si captivant ? Du moins, je suppose, puisque je ne vois pas à un mètre devant moi.
VISALA : Tu as fini ? Je voulais surtout dire qu’il était peut-être plus prudent de rester discrets.
JOSE : Pourquoi ? Roxane n’est même pas là, c’est la seule qui aime faire ce genre de chose...
VISALA : Justement, c’est certainement ce qu’elle dirait à ma place. On ne sait jamais, nous ne sommes peut-être pas seuls.
Husker pouffa brièvement de rire.
HUSKER : Oh, c’est trop mignon. Tu essayes de la remplacer !
VISALA : Je vais te frapper, Husker.
HUSKER : Haha, on croirait presque entendre la vraie ! Adorable !
VISALA : Jose, dis quelque chose !
JOSE : Husker, arrête de te moquer d’elle. Tu es injuste. Elle est beaucoup moins sérieuse que Roxane.
Je restai pensive quelques instants, me demandant si je devais prendre cela comme un compliment ou me sentir insultée.
HUSKER : Elle tape aussi surement moins fort.
JOSE : Oui, aussi.
VISALA : Je vous déteste...
HUSKER : Qui pourrait nous entendre de toute façon ? Il n’y a personne ici à part nous !
VISALA : Est-ce que je suis la seule à avoir vu le monstre qui nous a servi de toboggan ?
JOSE : C’était un serpent. Les monstres n’existent pas.
VISALA : Oh, vraiment ? Alors comment tu expliques ce qui nous a attaqué dans le temple à X’arnas ?
JOSE : Ce n’étaient pas des monstres, mais des zombies. Ce n’est pas la même chose.
VISALA : Donc les zombies existent, mais pas les monstres ?
JOSE : Apparemment.
HUSKER : J’ai vraiment envie d’entendre cette histoire maintenant...
JOSE : De toute façon c’était un serpent mort. J’ai vérifié. Alors aucune raison de s’inquiéter.
Une voix grave et inconnue vint très ironiquement mettre fin à notre conversation, accompagnée par le maintenant très familier son du chargement d’une arme à feu.
VOIX : Tiens, tiens, tiens...
Je poussai un soupire, levant lentement les mains, vite imitée par Husker. Jose n’avait peut-être pas encore compris ce qui nous arrivait.
VISALA : Qu’est-ce que je disais ?
HUSKER : Ok, ok, tu avais raison... Tu es contente ? C’est fou ce que tu lui ressembles...
JOSE : J'ai eu peur au début à cause de la voix grinçante et insupportable, mais c'est juste un orc, pas Flux.
La silhouette agita son fusil sous le nez de Jose, haussant le ton d’un air un peu irrité, une réaction commune face à l’indifférence du Meastien dans ce genre de situation.
LUI : Et qu'est-ce que tu veux dire par là ?
JOSE : Non, tu n'as pas compris, c'était un compliment pour toi. Ta voix est comme de la torture pour mes oreilles, mais au moins tu n'es pas Flux.
LUI : Tu te moques de moi ?
HUSKER : Non, il est juste un peu lent. Si tu nous disais ce que nous pouvons faire pour toi mon brave homme ?
JOSE : Orc. C'est pas tout à fait pareil.
LUI : Vous pouvez vous dépêcher de me dire ce que vous foutez ici avant que je vous descende tous par précaution.
Il afficha un sourire légèrement dérangeant en dévisageant Jose.
LUI : Et un peu par plaisir aussi.
Husker ouvrit la bouche, certainement prêt à empirer la situation, mais s’arrêta net, le regard confus. Je me tournai pour faire face à notre assaillant mais adoptai à mon tour un air hébété en le voyant tomber mollement à nos pieds sans un bruit, faisant place à une autre silhouette à peu près identique appartenant, comme Jose nous le ferait certainement vite remarquer, à un autre orc.
JOSE : Un autre orc ! Quelle journée...
LUI : Mon nom est Tarrus. Suivez-moi, vite. Vos amis sont en danger.
JOSE : Bigot !
Je me tournai vers Jose, me doutant qu'il pensait à autre chose.
VISALA : Quoi ?
TARRUS : Il vient de réaliser que vous avez oublié la liqueur dans la voiture.
HUSKER : Une seconde, tu nous espionnes ?!
TARRUS : Je vous surveille. On m’a envoyé ici pour vous protéger.
VISALA : Nous protéger ? De ce type ?
TARRUS : De ces types.
VISALA : Il y en a d’autres ? Combien ? Et qu’est-ce qu’ils nous veulent ?
TARRUS : Nous n’avons pas le temps pour ça.
HUSKER : J’ai compris. C’est Roxane qui t’envoie ? C’est typique d’elle ! Même quand elle n’est pas là, elle doit tout contrôler !
TARRUS : Roxane n'a rien à voir avec tout ça.
VISALA : Qui, alors ?
Son regard se posa sur moi, et il prit une grande inspiration avant de me répondre, comme s’il s’était préparé à ce moment toute sa vie.
TARRUS : Ceron. Maintenant suivez-moi. Le temps presse.
A suivre...

Episode 4

HUSKER : Ceron ? Qu’est-ce que Ceron a à voir avec tout ça ?
JOSE : Qui est Ceron ? Bigot, Flux n’est jamais là quand on a besoin de lui !
HUSKER : Ceron est un bandit qui semble être sorti de nulle part il y a quelques mois et qui a sans aucune explication acquis une certaine réputation en très peu de temps. Personne n’avait jamais entendu parler de lui, et quelques jours plus tard, ce type a une armée d’orcs à ses ordres et s’attaque directement au parrain de la mafia de Rugbura !
VISALA : Comment est-ce que tu sais tout ça ? Nous sommes à des centaines de kilomètres !
HUSKER : Au cas où tu ne l’aurais pas remarqué, savoir ce genre de choses est un peu ma spécialité. Et j’ai des indics.
VISALA : Des ivrognes au bar.
HUSKER : Est-ce qu’on doit vraiment reparler de ça maintenant ?
TARRUS : Non. Pas si vous tenez à retrouver vos amis vivants.
HUSKER : Je ne suis pas certain qu’une poignée d’orcs suffisent à venir à bout de mon frère.
JOSE : Flux, peut-être, surement, mais pas Cavil. Ce gars sait se battre.
Remarquant la détresse grandissante sur le visage de Tarrus, jusqu’alors impassible, je me résolus à prendre les choses en main, réalisant non sans une certaine appréhension qu’en l’absence de Roxane, j’avais la responsabilité d’influencer Jose et Husker dès que j’aurais décidé de la meilleure marche à suivre. Et si je voulais sauver Flux et Cavil, je ne voyais d’autre choix que d’accorder à ce mystérieux inconnu le bénéfice du doute.
VISALA : Allons-y.
Tarrus m’adressa un très bref sourire, visiblement soulagé, même s’il semblait étrangement s’être attendu à ce dénouement.
Husker, lui, était de toute évidence surpris.
HUSKER : Quoi ? On va faire confiance à ce mec dont on ne sait rien ?
JOSE : Orc.
HUSKER : Il pourrait être à la recherche du trésor ! Qu’est-ce qui l’empêche de nous abattre dès qu’on aura le dos tourné ?
VISALA : Jose ?
Jose me fit un clin d’oeil et afficha un sourire chaleureux, passant un bras autour de mes épaules.
JOSE : Ouais, ok, on y va.
Nous suivîmes Tarrus, qui ne perdit pas une seconde de plus, et j’entendis rapidement les inévitables bruits de pas de Husker quelques mètres derrière nous.
HUSKER : Si je ne suis pas riche à la fin de la journée, je vais vraiment vous en vouloir.
JOSE : Mais sérieusement les gars, est-ce qu'on ferait pas mieux d'aller rapidement chercher la liqueur avant ?

Tarrus, à présent aux commandes de notre équipe, estima comme moi qu’il était préférable de rester discrets si nous voulions garder l’avantage sur notre adversaire, un plan qui me plut sans surprise bien plus qu’à Jose. Husker quant à lui, n’était toujours pas emballé à l’idée de suivre Tarrus.
JOSE : Pourquoi faut toujours être discrets ? A quoi ça sert que Roxane prenne des vacances si on peut pas s’amuser ?
VISALA : C’est du travail d’équipe Jose, si ça ne fonctionne pas tu pourras taper sur tout le monde.
JOSE : Pff... Tu dis juste ça pour me faire plaisir.
HUSKER : Je ne m’inquièterais pas trop si j’étais toi, Jose, à  la seconde où on aura trouvé le trésor, je suis prêt à parier que des dizaines de types sortiront comme par magie de nulle part, pas vrai Garrus ?
TARRUS : C’est Tarrus. Et ils vous attendent déjà. Et il n’y a aucun trésor.
Husker s’arrêta net, prêt à tourner de l’oeil.
HUSKER : Quoi ?
TARRUS : Le trésor n’était qu’un piège.
HUSKER : Qui tendrait un piège aussi cruel, bordel ?!
TARRUS : Je vous expliquerai tout en temps et en heure, mais pour le moment, nous devons avancer.
VISALA : Il a raison, Husker, continuons. Cavil et Flux ont besoin de nous.
JOSE : Encore une fois, surtout Flux, mais oui.

Cavil et Flux avaient en effet connu des jours meilleurs. Encerclés, les mains ligotées derrière le dos, ils ne pouvaient que suivre patiemment les directives de leurs ravisseurs armés jusqu’aux crocs.
Nous sortîmes de notre tunnel sur une plateforme à peine assez grande pour nous quatre surplombant la caverne dans laquelle nos amis étaient retenus et nous cachâmes rapidement derrière le rocher que nous indiquait Tarrus.
Husker afficha un air triomphal et laissa échapper un éclat de rire juste assez bas pour être toujours considéré comme un chuchottement.
HUSKER : Je vous avais dit qu’il y avait un trésor dans ce trou à rats !
Ayant agenouillé leurs deux otages contre la paroi la plus éloignée de la grotte, les orcs, bien plus nombreux que je les avais imaginés, s’étaient en effet rassemblés autour d’un coffre de bois poussiéreux et si massif que même Jose aurait probablement pu tenir dedans.
HUSKER : Comment on va ramener ce truc jusqu’au 4X4 ? Tu te sens de porter ça, Jose ?
JOSE : Pour un prix.
HUSKER : Enfoiré...
TARRUS : Ce n’est pas un trésor.
VISALA : Ca ressemble à un trésor...
TARRUS : Restez cachés.
Sans un mot de plus, Tarrus se redressa et se laissa glisser aussi prudemment que furtivement le long de la pente abrupte qui menait sur la terre ferme. Retenant mon souffle, paralysée par l’inquiétude, je l’observai d’un oeil discret contourner l’ennemi incrédule, surprise de l’agilité et de la finesse des mouvements de l’orc, que j’aurais imaginés plus brusques et grossiers, en accord avec tous les stéréotypes que mes quelques voyages n’avaient encore pas contredits.
Les mercenaires s’approchèrent du coffre, manifestement impatients, et je posai une main sur celle de Jose, que je devinai prête à dégaîner son revolver par mesure de précaution, confiante pour une raison que j’étais incapable d’expliquer en l’honnêteté de Tarrus et en sa capacité à arranger la situation sans excès de violence.
Me retenant tout juste de trembler d’anticipation, je ne remarquai pas tout de suite la position de ma jambe, et ne sentis que trop tard la pierre que j’avais délogée d’un coup de pied involontaire et qui plongeait à présent inévitablement vers le plancher rocailleux.
Mon coeur manqua un battement, ainsi que celui de Husker à en juger par l’expression de défaite déjà dessinée sur son visage alors que ses yeux aquilins suivaient l’interminable trajectoire du caillou qui promettait de trahir notre présence.
La pierre toucha enfin le sol, mais aucun regard ne se posa sur nous, car le son de l’impact fut contre toute attente masqué par la voix de Tarrus, qui était sorti de l’ombre précisément au bon moment, comme s’il avait prévu ma maladresse et était intervenu juste à temps pour la réparer.
TARRUS : Attendez.
Tous firent volte face et pointèrent leurs fusils dans la direction de notre compagnon, bien trop calme à mon goût pour quelqu’un dans sa situation.
ORC : Tarrus ? Qu’est-ce que tu fais encore ici, sale traître ?
TARRUS : Je ne suis pas là pour le trésor, si c’est ce qui vous inquiète. Je suis ici pour négocier.
ORC : On te l’a déjà dit, on ne laissera pas cette sorcière nous laver le cerveau aussi !
Husker se pencha vers Jose et moi pour murmurer sa stupéfaction.
HUSKER : Ceron est une femme ?!
TARRUS : Worekz peut être vaincu si nous unissons nos forces. Toute cette violence inutile peut prendre fin si vous me faîtes confiance !
ORC : Je te respectais, Tarrus. Tu étais l’un des notres. Tu n’es plus qu’un chien, aux ordres de cette folle, comme tous les autres.
TARRUS : J’ai essayé de vous prévenir. De vous faire voir la vérité. Ceron n’est pas votre ennemie. Elle n’est l’ennemie de personne.
ORC : Si ses prédictions sont si infaillibles, pourquoi est-ce qu’elle n’a pas su trouver le trésor de Knaas ? Notre patron y est arrivé, lui, sans pouvoirs divins !
TARRUS : Ceron n’est pas intéressée par le trésor de Knaas.
L’orc rugit de rire, posant une main assurée sur le couvercle du coffre et crachant sa réponse à celui qui avait de toute évidence un jour été son ami.
ORC : As-tu la moindre idée de ce qui se trouve à l’intérieur, Tarrus ?
TARRUS : Oui.
ORC : La fin de tous nos problèmes ! L’arme ultime, pour écraser une bonne fois pour toute cette insolente de Ceron !
Il agita un doigt accusateur dans la direction de Tarrus.
ORC : Tu aurais pu rester avec nous, Worekz t’a laissé ta chance...
Secouant la tête d’un air désespéré, Tarrus répondit d’une voix grave.
TARRUS : Ouvre le coffre.
L’orc obéit, un rictus aux lèvres. Je n’entendis jamais son cri, car le monde s’effondra autour de nous dans un rugissement aussi inattendu que terrifiant. Jose m’enveloppa dans ses bras pour me protéger des stalagtites qui pleuvaient sur nos têtes, explosant en centaines d’éclats tranchants projetés partout autour de nous.
Tarrus ne nous avait pas menti. Le trésor de Knaas était un piège.
C’était une bombe, assez puissante pour nous ensevelir vivants.
A suivre...

Episode 5

Une main m’attrapa par la cheville et me sortit des décombres.
JOSE : Visala ! Réveille-toi !
Quelques petites gifles, plus puissantes que nécessaire, me ramenèrent rapidement à moi, même s’il me fallut quelques secondes de plus pour me souvenir de la raison pour laquelle je m’étais endormie sous un tas de pierres.
Encore un peu sonnée, j’ouvris la bouche non sans une certaine appréhension mais constatai avec surprise que des mots en sortaient toujours.
VISALA : Ma tête... J’ai l’impression qu’un camion m’est passé dessus.
Je réalisai au même moment qu’un camion aurait peut-être d’ailleurs été moins douloureux que la moitié du désert des ombres mais je décidai, soucieuse d’économiser mes forces, de ne pas en faire la remarque.
VISALA : Où sont les autres ?
Un grognement étouffé quelque part derrière moi répondit aussitôt à ma question, et je me tournai pour découvrir Husker, se relevant péniblement, manifestement plus amoché que moi par l’expérience, avec l’aide de Tarrus, qui semblait pour sa part ne s’en être tiré qu’avec quelques égratignures.
VISALA : Et Flux ? Et Cavil ?
TARRUS : Je n’ai rien pu faire. Ils les ont emmenés...
VISALA : Mais ils sont vivants ?
TARRUS : Oui. Mais les hommes de Worekz aussi.
JOSE : Orcs.
Husker attrapa Tarrus par l’épaule et le plaqua brutalement contre ce qui restait de la caverne, le visage déformé par une colère que je ne lui connaissais pas.
HUSKER : Première question, où sont-ils ? Deuxième question, que veulent-ils à mon frère ? Troisième question, qu’est-ce que TU nous veux ?
JOSE : Et quatrième, qu’est-ce que c’était que ce trésor, pas vrai les gars ?
VISALA : C’était un piège, Jose, tu te souviens ?
JOSE : Oh, c’est vrai. Ca explique l’explosion, au moins.
Husker resserra sa prise, sans la moindre résistance de la part de l’Orc qui restait d’un calme presque inquiétant malgré la situation.
HUSKER : Oui, et un piège de qui, d’ailleurs ?
TARRUS : De Ceron.
HUSKER : Qui aurait pu tous nous tuer !
TARRUS : Ceron savait que nous nous en sortirions tous indemnes.
HUSKER : Comment pouvait-elle savoir un truc comme ça ?!
Se redressant alors pour regarder le l’aîné Dimzad dans les yeux, Tarrus lui répondit d’une voix assurée, comme s’il connaissait chaque mot et chaque intonation par coeur depuis toujours, forçant même son agresseur à reculer d’un pas, déstabilisé par l’animation dont l’Orc faisait soudain preuve.
TARRUS : Ceron sait tout. Quand et comment nous mourrons, tous, et quand nous survivrons même à l’impossible. Elle connait déjà les décisions que vous-mêmes n’avez pas encore prises. Elle savait il y a des années à quel endroit et moment précis je vous trouverais dans ces tunnels dont personne d’autre dans tout Cylos n’avait jamais entendu parler avant aujourd’hui. Ceron connait le passé, le présent, et surtout le futur.
JOSE : Est-ce que Ceron sait ce que j'ai fait de mon flingue ? Parce que depuis l'explosion je le trouve plus...

Ignorant Jose, Tarrus s'éloigna de Husker d’un pas décidé et il observa rapidement nos alentours, trouvant presque aussitôt ce qu’il cherchait : la sortie. Escaladant rapidement un amas de pierres, il s’arrêta face à un tunnel à peine assez grand pour un homme -- ou Orc -- de sa taille et nous invita d’un regard à le rejoindre.
TARRUS : Ceron sait aussi comment sauver vos amis. Suivez-moi, nous avons beaucoup de route jusqu’à Rugbura.
L’Orc se pencha pour entrer dans l’étroite galerie souterraine, mais Husker ne bougea pas.
HUSKER : Si Ceron en sait autant que tu le dis, pourquoi t’envoyer à sa place ? Pourquoi n’est-elle pas venue elle-même ?
TARRUS : Vous la rencontrerez un jour. Mais il est encore trop tôt.
Sans un mot de plus, Tarrus disparut dans l’obscurité, ne nous laissant d’autre choix que de le suivre à travers le passage qui menait d’après lui à l’air libre.
JOSE : C'est bon en fait je l'ai retrouvé. Il était tombé par là-bas sous ce tas de caillasses. Foutue explosion, hein ?
Je jetai instinctivement un dernier regard derrière moi, dans la direction qu'indiquait Jose, et remarquai autre chose dépassant tout juste des décombres : une main grise, appartenant sans aucun doute à un Orc. Toute la scène me revint alors plus clairement : tous se tenaient à quelques pas seulement du coffre piégé. Comment avaient-ils pu s’en sortir ?

La nuit était déjà tombée lorsque nous sortîmes péniblement de la gueule du serpent après une escalade épuisante dont je me serais passée avec plaisir après la journée que nous venions de vivre. La lune brillait assez pour illuminer le désert d’une lueur blanche suffisante pour retrouver la voiture de Husker, que nous ne nous attendions pourtant pas à retrouver à notre disposition.
HUSKER : Heureusement que ces crétins n'ont pas pensé à la bousiller.
TARRUS : Ils ont certainement trouvé une autre sortie.
JOSE : Bah heureusement que nous on a retrouvé celle-ci parce qu'on aurait bien eu l'air con autrement.

Si Husker s’était laissé aveugler par la colère et sa soif de vengeance, j’étais pour ma part de plus en plus méfiante de Tarrus et de ses réelles intentions.
Nous nous installâmes tous et Husker démarra.
TARRUS : Nous aurons besoin d’armes.
HUSKER : J’ai bien mieux que ça.
Sans un mot de plus, il fit vrombir le moteur et nous partîmes dans un nuage de fumée en direction de Dimzad.

Husker slaloma sans ralentir entre les nombreux passants qui arpentaient chaque soir dès le coucher du soleil les rues animées de Dimzad, nous arrêta d’un coup de frein sec au milieu de la place principale, et sauta sur le capot de la voiture après avoir attrapé dans la boîte à gants un vieux porte-voix poussiéreux qui n’avait pas du servir depuis des années.
HUSKER : Dimzad ! Rejoignez-moi !
Quelques têtes se tournèrent immédiatement et la foule commença rapidement à se regrouper autour de nous. Les lumières s’allumèrent une par une aux fenêtres alors que Husker continuait d’appeler ses hommes à venir écouter son message.
Habituée au chaos dans lequel la ville baignait selon toutes les apparences, je restai bouche bée face au spectacle qui s’offrit alors à mes yeux : en l’espace de quelques minutes seulement, des centaines de personne avaient répondu à l’appel du père fondateur de Dimzad. Les bâtiments se vidaient et les rues se remplissaient d’hommes et de femmes de tous âges, se précipitant d’un air curieux vers le centre de la ville, où Husker attendit le silence complet avant de commencer sa déclaration :
HUSKER : Citoyens de Dimzad ! Votre maire, votre protecteur, mon frère, a été enlevé !
Quelques exclamations de surprise interrompirent brièvement le discours, me laissant quelque peu perplexe, surprise par la loyauté dont le peuple de Dimzad faisait preuve envers les deux dirigeants de leur ville.
HUSKER : Vous tous, que mon frère a accueillis dans les moments les plus durs, c’est aujourd’hui lui qui a besoin de vous ! Cette nuit, je pars pour Rugbura, où ses ravisseurs pensent pouvoir le garder prisonnier ! Et rien ne m’arrêtera tant que Cavil Dimzad ne nous sera pas rendu sain et sauf !
J’attrapai Husker par la cheville pour attirer son attention.
VISALA : Et Flux, aussi.
HUSKER : Et Flux, aussi !
La foule marqua une pause, manifestement confuse, mais ne se laissa pas démotiver pour autant.
HUSKER : Qui est avec moi ?
Un hurlement bestial s’éleva partout autour de nous, comme une seule et unique voix, résonnant dans la nuit et me donnant un frisson d’anticipation : je ne m’étais pas préparée à cela.
HUSKER : Aux armes !
Poussant toujours leur cri de guerre, les citoyens de Dimzad se dispersèrent, courant chacun dans la direction de leur foyer, de la taverne ou de la cache d’arme la plus proche qu’ils connaissaient, prêts à suivre Husker à l’autre bout du Désert des Ombres.
Satisfait, un rictus triomphal aux lèvres, celui-ci descendit de la voiture et en ouvrit le coffre. En arrachant le fond, il dévoila sa propre armurerie secrète et jeta un fusil à Jose et à Tarrus avant de m’en tendre un à mon tour. Le refusant d’un regard, je saisis mon arc et une flèche dans le carquois que Jose portait toujours à l'épaule.
M’adressant un sourire chaleureux, Husker me mit une tape dans le dos et s’éloigna, suivi de près par Jose.
J’allais les rejoindre également mais Tarrus m’attrapa le bras, m’attirant discrètement à l’écart. Surveillant que personne ne nous écoutait, il me parla tout bas et le plus naturellement possible pour éviter toute suspicion.
TARRUS : Je sais ce que tu as vu.
Sâchant très bien de quoi il parlait, je fis semblant de ne pas comprendre, m’interrogeant toujours sur l’honnêteté du mystérieux inconnu.
VISALA : Vu ? De quoi est-ce que tu...
TARRUS : Dans la caverne. J’ai besoin que tu me fasses confiance. Husker et Jose ne doivent rien savoir. Sans moi, attaquer Rugbura est une mission suicide. Les hommes de Worekz sont armés et bien entraînés. Et ils sont bien plus nombreux.
VISALA : Comment allons-nous les battre alors ?
TARRUS : J’ai un plan.
VISALA : Tu veux dire que Ceron a un plan ?
TARRUS : Oui.
Je lui lançai un regard sceptique, toujours incertaine, prise d’un désagréable sentiment de déjà-vu : la dernière fois que j’avais été mise dans une situation similaire, ma décision avait eu pour conséquence de propulser Ormus au pouvoir de Malthura, et je n’étais pas prête à refaire la même erreur.
Sentant ma réticence, Tarrus me regarda droit dans les yeux, semblant à nouveau connaitre sa promesse par coeur :
TARRUS : Dès que tout cela sera terminé, je répondrai à toutes tes question, tu en as ma parole.
Dévisageant l’Orc, toujours incapable de déterminer si je pouvais ou non lui faire confiance, je réalisai que le suivre était surement notre seule chance de sauver mes amis. J’acquiesçai d’un hochement de tête mais l’arrêtai à mon tour d’une main lorsqu’il commença à s’éloigner vers la foule.
VISALA : Si les hommes de Worekz sont morts dans l’explosion, qui a emmené Flux et Cavil ?
Tarrus surveilla à nouveau que personne ne pouvait l’entendre avant de me répondre tout bas :
TARRUS : Ceron.
A suivre...

Episode 6

Malgré la distance qui nous séparait de Rugbura, Husker refusa de nous céder le volant, résolu à conduire jusqu’aux portes de la ville où les Orcs de Ceron devaient déjà nous attendre, prêts à passer à l’action. Jamais je ne l’avais vu ainsi, le visage déformé par une colère qu’il tentait en vain de déguiser en détermination, le regard noir, que même la fatigue ne parvenait pas à faire dévier de la route poussiéreuse. J’appris ce jour les limites de Husker : son frère.
Jose, balançant doucement son pied à l’extérieur du 4X4, ne semblait pas prendre part à mon inquiétude concernant notre ami, sans grande surprise. C’est donc avec Tarrus que je tentai de la partager d’un regard, qui s’avéra cependant plus menaçant que je l’aurais voulu. Plus j’en apprenais au sujet du mystérieux inconnu, plus je regrettais de lui avoir si facilement accordé ma confiance à notre rencontre sous le Désert des Ombres.
Derrière nous, ainsi que de chaque côté, les vieilles voitures Dimzadaises improvisées chars de guerre nous suivaient de près dans l’assourdissant vrombissement des moteurs qui n’avaient pas tourné depuis des années et n’avaient certainement pu démarrer que par miracle.
VISALA : Comment vont réagir les habitants de Rugbura en voyant arriver tout ça ?
TARRUS : Ils penseront que Dimzad leur déclare la guerre.
VISALA : Et c’est censé être une bonne chose ?
TARRUS : J’arrangerai la situation une fois que nous aurons récupéré Flux et Cavil.
VISALA : Ceron a tout prévu, n’est-ce pas ?
N’ayant pas manqué la méfiance et la pointe de sarcasme que j’avais pris soin de rendre aussi évidents que possible dans ma voix, Tarrus se tourna vers moi et sembla à nouveau implorer secrètement ma coopération.
TARRUS : Fais-moi confiance. Tout sera bientôt plus clair.
Toujours aussi concentré sur la route, Husker sortit de son inhabituel -- et particulièrement inquiétant -- silence, s’adressant sèchement à l’Orc que nous n’avions d’autre choix que de suivre aveuglément.
HUSKER : Nous te faisons confiance pour le moment. Mais si ton plan ne fonctionne pas exactement comme prévu, tu seras le premier dans mon viseur. Et je n’ai jamais eu de balle perdue.
Malgré le peu de sympathie que m’inspirait Tarrus, je m’empressai de changer de sujet, soucieuse de ne pas nous mettre à dos la seule personne capable de nous aider.
VISALA : Quel est ton plan, alors ?
Ignorant la remarque de Husker, l’Orc ne sembla que trop soulagé de saisir l’opportunité de répondre à ma question, manifestement bien conscient qu’il ne serait pas à son avantage si la conversation poursuivait trop longtemps son cours actuel.
TARRUS : Les quartiers généraux de Worekz se situent en plein coeur de Rugbura. Ses hommes constituent la seule forme de défense de la ville, ce qui est la principale raison de son influence, même sur le maire, et ils nous attendent déjà.
VISALA : Mais nous avons Dimzad avec nous.
TARRUS : Les mercenaires de Worekz sont mieux armés, férocement entraînés et plus nombreux. Une attaque frontale est perdue d’avance.
VISALA : Mais ?
TARRUS : Worekz a fait construire sa base d’opérations sur d’anciens tunnels souterrains qui lui servent d’issue de secours en cas d’urgence.
Je laissai échapper un soupire exaspéré.
VISALA : Encore des tunnels ?
TARRUS : Il pense être le seul à avoir connaissance de ces passages secrets. Même ses hommes n’en ont jamais entendu parler à l’exception de son équipe de sécurité personnelle.
VISALA : Laisse-moi deviner : Ceron les connaît aussi ?
TARRUS : Oui. Nous infiltrerons ses quartiers pendant que nos troupes et celles de Dimzad occuperont les défenses de Worekz. Ils ne se douteront de rien. Les gardes du corps de Worekz tenteront tout pour protéger leur patron, nous serons obligés de les tuer. Une fois seul, il n’aura d’autre option que de se rendre et d’ordonner à ses mercenaires de cesser le feu avant que la bataille ne provoque trop de pertes inutiles.
VISALA : Et s’il ne se rend pas ?
HUSKER : Il y repensera à deux fois la prochaine fois qu’il voudra s’attaquer à Dimzad.
TARRUS : Ses hommes n’abandonneront pas s’il ne donne pas l’ordre. Nous avons besoin de lui vivant.
Il plongea son regard dans le mien, tentant à nouveau de me convaincre qu’il savait bien ce qu’il faisait et que je devais lui faire confiance.
TARRUS : Il se rendra. Vous en avez ma parole.
Toujours aussi sceptique, je l’ignorai et me tournai vers Jose, qui n’avait pas détourné les yeux du maintenant familier paysage désertique qui s’offrait à nous dans la pénombre, semblant se répéter infiniment. Son léger sourire témoignait de son calme imperturbable, et son inexplicable discrétion, même malgré toutes les opportunités que Tarrus lui avait données de le corriger en mentionnant à plusieurs reprises les “hommes” de Ceron, m’intriguait et me donnait enfin l’occasion de penser à un sujet moins troublant.
VISALA : Qu’est-ce que tu regardes ?
Il passa un bras autour de mes épaules et pointa du doigt quelque part vers le ciel.
JOSE : Là. Tu vois ?
Je fronçai les sourcils, tentant d’habituer mes yeux à l’obscurité, et finis par discerner ce qu’il semblait vouloir me montrer.
VISALA : La Chute du Mort.
Maintenant loin derrière nous, disparaissant lentement à l’horizon, j’apercevais tout juste le sommet du mont le plus haut de Cylos, où Jose m’avait emmenée le jour de notre rencontre, il y avait maintenant plusieurs mois. Je souris légèrement en repensant à ce moment, où plus aucun problème n’avait d’importance, et l’espace de quelques instants, j’en oubliai Rugbura et Ceron et Worekz et la longue nuit qui nous attendait encore.
Je laissai tomber ma tête contre le Meastien et fermai les yeux, épuisée et consciente que j’aurais besoin de forces pour affronter la suite des événements.
JOSE : Au fait, je crois que ce bulard ne comprendra vraiment jamais la différence entre un humain et un orc...
Je m’endormis dans un ricanement.

Le bruit des coups de feu au loin me sortit de mon sommeil en sursaut, et Jose se tenait devant moi, le visage presque collé au mien.
JOSE : Il faut qu’on bouge.
M’attrapant par la main, il me souleva de la banquette arrière de la voiture et m’entraîna rapidement quelques mètres plus loin, vers un rocher derrière lequel Husker et Tarrus étaient déjà cachés, leurs armes à la main.
Si je m’étais accoutumée aux réveils précipités depuis le début de mon aventure aux côtés des Slayers, rien ne m’avait préparée à l’invivable chaleur qui manquait de m’étouffer à chaque souffle alors que le soleil était encore loin sous l’horizon. Même Dimzad et Malthura me semblaient relativement tempérés en comparaison. Si mon passé Thalionnais n’était maintenant déjà plus qu’un vague souvenir, mes cours de géographie à l’université me revinrent soudain en flash, et je compris enfin pleinement pourquoi la grande majorité de la population de Rugbura était constituée d’Orcs : aucun humain normal ne pouvait supporter longtemps un environnement si hostile.
Jose me poussa contre la pierre chaude et me força à m’accroupir à l’abri de la fusillade qui bien que lointaine témoignait du début d’une bataille à laquelle aucun des deux camps ne s’était attendu.
C’était une expérience unique. Etrange et désagréable, même si je ne m’en rendais pas tout à fait compte, encore un peu endormie. J’avais fini par m’habituer aux armes à feu depuis mon départ d'Odysée, mais ceci était différent : étrangement, la distance ne faisait qu’amplifier le sentiment de vulnérabilité que chaque tir m’inspirait, propagé partout autour de nous par l’écho qui brisait le silence paisible de la nuit dans une rafale ininterrompue qui mettait malgré moi mes nerfs à vif.
Pour la première fois de ma vie, j’assistais à une véritable guerre. Et rien ne me terrifiait plus que la réalisation que nous seuls pouvions y mettre un terme.
Recroquevillée contre Jose, j’observai Tarrus poser une main sur une pierre à peine aussi large que son poing et la faire pivoter plusieurs fois dans les deux sens, dévoilant après quelques instants une trappe secrète cachée sous le rocher qui nous servait de refuge.
S’engouffrant sans hésitation dans l’étroit couloir qui s’ouvrait à nous, ils nous fit signe de le suivre, mais je retins Jose d’une main, de plus en plus troublée.
VISALA : Comment pouvais-tu connaître le code ?
TARRUS : Est-ce que tu préfères rester ici ?
Nous nous défiâmes brièvement du regard, et je ne vis d’abord sur son visage que son habituelle assurance, dont j’avais pris l’habitude de me méfier. C’est seulement lorsqu’un cri d’agonie résonna quelque part autour des remparts de la ville que ses yeux me quittèrent l’espace d’une fraction de seconde et trahirent enfin un sentiment que j’avais attendu de voir en lui depuis des heures : la peur.
Je poussai Husker à l’intérieur et m'y précipitai à mon tour, entraînant avec moi Jose, qui referma le passage secret, mettant fin au vacarme infernal du champ de bataille.
Passant devant mes compagnons, je saisis mon arc et une flèche et m’aventurai dans l’obscurité, déterminée à trouver nos amis et obtenir les réponses que je méritais.
Je n’étais certaine que d’une chose : même si cela n’avait pas duré longtemps, Tarrus avait douté.
C’était tout ce dont j’avais besoin.
A suivre...

Episode 7

VISALA : Et déjà, qu’est-ce que ce Worekz a fait de si horrible ?
TARRUS : A part capturer vos amis ?
Je fusillai l’Orc du regard, tentée de dévoiler à Husker et Jose ce qu’il m’avait confié avant notre départ de Dimzad.
JOSE : Evidemment, à part ça...
HUSKER : Cavil et Flux n’ont rien à voir avec votre conflit. N’essaye pas de nous convaincre que tu fais tout ça pour eux. Leur enlèvement devait même bien t’arranger, finalement : comment aurais-tu obtenu notre aide autrement ?
VISALA : Oui, Tarrus, le hasard a bien fait les choses, tu ne trouves pas ?
Je lui crachais mes mots, consciente de la situation plus que délicate dans laquelle je le mettais, mais de plus en plus décidée à lui rendre la vie impossible tant que je compromettais pas le sauvetage de nos compagnons.
TARRUS : Je sais ce que vous pensez de moi. Mais ça n’a aucune importance.
L’Orc s’arrêta brusquement et se tourna vers nous, attrapant son arme à sa ceinture.
Dans un grognement de rage, Jose le saisit par la gorge et le plaqua contre la paroi du tunnel alors que Husker s’apprêtait déjà à tirer, son vieux pistolet pointé droit sur sa tête.
VISALA : Arrêtez !
Tous s’immobilisèrent immédiatement, replongeant le corridor sombre dans un silence pesant.
VISALA : Lâche-le, Jose.
Baissant les yeux, le Meastien remarqua à son tour ce qui avait attiré mon attention et obéit sans pour autant baisser sa garde : Tarrus, tenait son arme par le canon et n’avait manifestement pas l’intention d’attaquer.
Se dégageant calmement de Jose, il me tendit le pistolet et, constatant mon hésitation, le planta entre mes mains, soutenant mon regard.
TARRUS : Je n’ai pas besoin de votre confiance. Je n’ai pas besoin d’arme. Dans quelques heures, Worekz ne sera plus une menace, et vos amis seront libres. Peu importe nos actions.
Tournant les talons, il reprit le cours de sa marche.
VISALA : C’est ce que Ceron t’a promis ?
Nous ignorant, il nous força à le rattraper pour ne pas perdre sa trace dans l’obscurité.
VISALA : Comment peux-tu avoir une telle confiance en une personne ?
TARRUS : Tu comprendrais si tu la connaissais.
VISALA : Tu es prêt à attaquer Worekz chez lui, désarmé ?
TARRUS : En quoi suis-je différent de toi ? Tu n’as pas peur, car tu sais que Jose ne laissera rien t’arriver. J’ai la même confiance en Ceron.
VISALA : Mais Ceron n’est pas là.
TARRUS : Crois-moi, Ceron n’est jamais loin...
Je restai silencieuse un instant, contemplant la dernière remarque de Tarrus et essayant de comprendre s’il ne s’agissait que d’une façon de parler ou si cette mystérieuse Ceron pouvait nous observer à ce moment-même.
HUSKER : Laisse tomber, Visala, tu n’obtiendras aucune réponse comme ça. Je connais ce genre de types, il ne dévoilera rien tant que tu ne seras pas désarmée en train de creuser ta propre tombe dans le désert avec une cuillère à café.
JOSE : Maintenant c’est cette histoire que je veux entendre, moi.
VISALA : Non, je ne vais pas abandonner comme ça.
Résolue, plus sure de moi que je ne l’avais jamais été, et plus furieuse également, je plantai mes talons dans le sol rocailleux et desséché et plongeai mon regard dans celui de l’Orc, qui s’était arrêté immédiatement et avait fait demi-tour pour me faire face, comme s’il avait deviné mes actions.
VISALA : Je ne t’aiderai pas à tuer un homme dont je ne sais rien.
TARRUS : Nous n’allons pas tuer Worekz. Juste lui retirer le contrôle de la ville.
VISALA : Pour le donner à Ceron ?
TARRUS : Pour le rendre au maire de la ville. Worekz manipule la population de Rugbura par la peur de ce qui leur arriverait sans la protection de ses hommes.
JOSE : Orcs, bigot...
TARRUS : Ceron veut leur montrer qu’ils n’ont pas besoin de lui.
VISALA : Mais plutôt d’elle.
TARRUS : Ceron protègera Rugbura, même si elle n’a rien à y gagner.
JOSE : Quel genre de con voudrait attaquer Rugbura, de toute façon ?
Ignorant Jose, mais satisfaite de remarquer l’air agacé à peine perceptible que l’Orc tentait de masquer à chacune de ses remarques, je poursuivis, déterminée à avoir le dernier mot, et persuadée que j’avais le dessus sur mon interlocuteur.
VISALA : Mais elle a quelque chose à y gagner, n’est-ce pas ?
Tarrus me fusilla du regard, mais ce n’était pas la colère que ses yeux noirs trahissaient : il semblait profondément blessé que je persiste à voir en Ceron tout ce mal qu’il ignorait, et l’hostilité que j’éprouvais jusqu’alors à l’égard de l’Orc se dissipa légèrement pour faire place à un peu de sympathie. Après tout, peut-être était-il la première victime de la manipulation de Ceron.
Baissant le ton, je fis quelque pas vers lui et m’efforçai d’effacer toute trace de rancoeur de mon visage, enfin prête à mettre fin à notre conflit.
VISALA : On peut faire beaucoup de mal, tant qu’on réussit à le justifier par assez de bien.
Satisfaite de ma victoire, et convaincue d’avoir introduit suffisamment de doute dans l’esprit de Tarrus, je passai devant lui et repris la route, mais n’eûs que le temps de faire quelques pas avant sa réponse.
TARRUS : Comme tuer Sevrilla.
Je m’arrêtai net, manquant tout juste de trébucher, et fis demi-tour, espérant qu’il n’avait pas remarqué la détresse dans mon regard mais réalisant rapidement qu’il l’avait sentie à la seconde où les mots étaient sortis de sa bouche.
Désarçonnée, je revins vers lui d’un pas agressif que je ne contrôlais plus, consciente qu’il avait à présent l’avantage et soucieuse de mettre un terme à cette conversation au plus vite.
VISALA : Sevrilla s’est suicidé.
Il approcha son visage du mien et me répondit dans un murmure pour que Jose et Husker ne l’entendent pas, mais me menaçant d’un froncement de sourcils de faire preuve de moins de discrétion la prochaine fois.
TARRUS : C’est un mensonge. Et tu le sais mieux que personne...
Il marqua une courte pose, et afficha un mince rictus.
TARRUS : Marayad’Nir.
Je restai bouche bée, comprenant alors que j’avais sous-estimé mon adversaire, et réfléchis à toute vitesse malgré le manque de coopération de mon cerveau qui criait au secours, incapable malgré tous mes efforts d’expliquer comment quiconque d’autre qu’Ormus pouvait connaître notre accord caché la veille de la mort de l’ancien général Malthuran.
Tarrus me tenait, et il le savait : à tout moment, il pouvait dévoiler mon imposture à mes compagnons, ou pire, au reste du monde, replongeant Malthura dans la guerre civile.
Percevant l’inquiétude que je ne prenais même plus la peine de dissimuler, il posa une main sur mon épaule et m’adressa un sourire léger bien que sincère, qui ne fit rien pour arranger ma confusion.
TARRUS : Rassure-toi. Ton secret est en sécurité.
Le visage à nouveau neutre et impassible, il s’éloigna d’un pas décidé.
Tout se déroulait exactement comme il l’avait prévu.

Je restai pensive le reste du trajet, la tête basse et les yeux dans le vide. Il ne me restait plus que quelques instants pour prendre ma décision, et la pression ne faisait qu’affaiblir encore plus mes capacités de réflexion.
Aider Tarrus était ma seule option pour sauver Flux et Cavil, mais je ne connaissais toujours pas ses réelles motivations et ne pouvais m’empêcher de craindre le pire si je l’aidais à mettre le contrôle de la ville entre les mains de Ceron.
Je pris une grande inspiration et m’efforçai de reprendre mes esprits, consciente que le mal de tête que je m’infligeais ne serait qu’une complication de plus quand la bataille commencerait, et que je n’avais certainement pas besoin de ça.
Me sentant observée, je finis par sortir de mes pensées et jetai un regard à ma droite. Jose me fixait d’un air perplexe depuis probablement plusieurs minutes et m’adressa un grand sourire lorsque je le dévisageai à mon tour. Sans un mot, il prit mes lunettes de soleil en forme d’étoiles dans la poche de ma veste et les posa sur son nez, m’arrachant malgré moi un bref mais réconfortant éclat de rire.
Je repensais au jour où il me les avait données, quelques heures seulement après notre rencontre, et me libérai soudain de toute l’appréhension qui me rongeait depuis notre départ de Dimzad.
Husker aussi, après un coup d’oeil dans notre direction, sembla quelque peu apaisé, ne laissant de marbre que Tarrus, concentré comme à son habitude sur sa mission.
Satisfait, le Meastien accéléra la marche, déterminé à en finir.
JOSE : Ne t’inquiète pas. Je m’occupe de tout.
VISALA : Je sais.
Il baissa d’un doigt les lunettes qui l’empêchaient de se repérer dans l’obscurité, comprenant alors pourquoi je n’avais pas pensé à les porter, et posa un bras sur mes épaules, comme il le faisait toujours pour me rassurer.
VISALA : Prends-en soin, parce que j’y tiens.

Le distant son des coups de feu nous indiqua bientôt que nous arrivions au bout du tunnel, et Tarrus leva tout doute en nous arrêtant d’un geste de la main quelques mètres avant un virage à droite.
Il nous fit à tous signe de nous approcher et de rester discrets.
TARRUS : Nous y sommes. Worekz et ses gardes du corps son derrière cette porte. Ils sont extrêmement bien entraînés et préparés à toute attaque, donc l’effet de surprise ne nous aidera pas longtemps.
Husker se tourna vers Jose et compta les balles dans les barillets de ses pistolets.
HUSKER : Tu as un plan, Jose ?
JOSE : Ouais, on entre et on fait tout pé...
TARRUS : Non. Ils sont cinq, armés jusqu’aux dents et parmi les guerriers les plus redoutables de Rugbura. Vous devez suivre mes indications à la lettre, quoi qu’il arrive, ou ils nous tueront tous les quatre.
HUSKER : Et si tu es de leur côté ?
TARRUS : Si j’étais de leur côté vous seriez morts depuis très longtemps.
Husker fusilla l’Orc d’un regard et s’apprêta à répondre mais je l’interrompis.
VISALA : Il a raison. Peu importent les intentions de Ceron, nous devons sauver Flux et Cavil.
HUSKER : Tu crois ce malade maintenant ?
Je dévisageai Tarrus, repensant à notre conversation un peu plus tôt. Aussi inconcevable que cela me semble, il n’y avait plus aucun doute : Ceron savait beaucoup de choses, et comment survivre à cette bataille en faisait certainement partie.
J’ignorais combien de temps son inexplicable don serait encore de notre côté, mais aujourd’hui, nous étions dans le même camp, même si elle seule l’avait décidé.
VISALA : Faîtes ce qu’il dit.
Jose haussa les épaules et Husker ouvrit la bouche pour rétorquer mais se retint finalement, acquiesçant d’un hochement de tête peu assuré.
Déduisant que nous étions d’accord, Tarrus nous donna enfin ses directives :
TARRUS : Jose, tu entreras le premier et tu tireras sur le garde à ta gauche, il se tiendra juste en face de la porte. Fais du bruit, attire leur attention autant que possible.
JOSE : C’est dans mes cordes.
TARRUS : Un autre t’attaquera alors par derrière, mais au corps à corps.
JOSE : Le pauvre.
TARRUS : Tu n’es pas obligé de le tuer. Il se rendra quand il réalisera qu’il est seul.
L’Orc se tourna alors vers moi.
TARRUS : Tu entreras juste derrière Jose, prête à tirer. Dès que tu auras passé la porte, mets un genou à terre et tire sur celui en face de toi, à côté de Worekz. Tu ne le toucheras qu’à l’épaule mais ça suffira à le neutraliser. Le quatrième t’attaquera à ce moment-là. Il arrivera de la gauche, à l’autre bout de la pièce, et il s’arrêtera après quelques pas pour faire feu. Husker, c’est ta cible. Sois plus rapide.
HUSKER : Fait.
TARRUS : Je profiterai de la panique générale pour traverser rapidement la pièce et m’occuper de Worekz et de son dernier garde.
HUSKER : Tu es sûr que ton plan va fonctionner ?
TARRUS : Oui. Si vous suivez précisément mes instructions, nous survivrons tous, ainsi que Worekz.
Je jetai un regard à mes compagnons et pris une grande inspiration.
VISALA : Allons-y.

Tarrus dévérouilla à nouveau la porte en entrant sur une petite console le code qu’il connaissait, et Jose l’ouvrit d’un grand coup de pied, lançant officiellement l’offensive.
Je ne le vis pas tuer le premier Orc, mais arrivai juste à temps pour apercevoir du coin de l’oeil le deuxième voler à travers la pièce et percuter un mur sans douceur, trop sonné pour se relever. Me jetant à mon tour à l’intérieur, j’obéis aux ordres de Tarrus et m’agenouillai avant de tirer, un peu trop précipitamment pour bien viser, mais touchai bel et bien l’Orc à l’épaule, le clouant au mur devant lequel il se tenait et lui faisant lâcher son arme. Troublée, je restai immobile un instant, obsédée par toutes les questions qui se bousculaient dans ma tête : comment les prédictions de Tarrus pouvaient-elles être si exactes, jusque dans les moindres détails ? Déconcentrée, je ne remarquai qu’au dernier moment le quatrième garde s’arrêter à quelques mètres de moi et lever son fusil, mais il bascula aussitôt en arrière, la poitrine criblée de balles par Husker, avant d’avoir eu le temps de faire feu. Je me mis rapidement à couvert et saisis une autre flèche, même si j’étais consciente que le conflit était presque terminé. Je levai les yeux juste assez tôt pour repérer Tarrus, le poing serré, debout devant un vieil Orc à terre, une main fermée sur son nez ensanglanté, qui ne pouvait être que Worekz.
Mais il restait le dernier garde. Ignoré, pendant le combat, il avait contourné Tarrus et se tenait maintenant derrière lui, le canon de sa mitraillette dirigé droit sur sa tête.
Je criai dans leur direction et levai mon arc mais il était trop tard. Impuissante, je regardai le doigt de l’Orc se refermer sur la gâchette alors que Jose était occupé à empêcher son deuxième adversaire de se relever et que Husker s’était précipité vers celui que j’avais moi-même immobilisé pour le restreindre également.
Tarrus se tourna et n’eût que le temps de poser son regard sur le visage de son assaillant avant le retentissement du coup de feu.
Le garde tomba en arrière dans un bruit sourd, un mince filet de sang coulant de juste entre ses yeux, où la balle l’avait touché.
Tarrus leva la tête et scruta rapidement les toits à travers la fenêtre trouée elle aussi d’un petit éclat.
Il finit par repérer ce qu’il cherchait, et je jurai moi aussi apercevoir une forme disparaître derrière la plus haute fenêtre d’un bâtiment quelques dizaines de mètres en face de nous.
Perplexe, je redirigeai mon attention vers mes compagnons et assistai pour la première fois à un spectacle inattendu : Tarrus affichait un sourire radieux dont je ne l’aurais jamais cru capable, et je compris ce qu’il avait distingué au loin, et qui l’avait sauvé d’une mort certaine : Ceron n’était jamais loin.
A suivre...

Episode 8

Tarrus saisit Worekz par le col et le força doucement mais fermement à se relever, lui ôtant son arme de la ceinture et la posant calmement contre sa tempe.
Je fis quelques pas dans leur direction, curieuse de découvrir la suite de son plan.
Dehors, à travers les vitres brisées, j’entendais encore retentir les coups de feu et les hurlements de douleur des blessés.
Visiblement aussi impatient que moi de mettre fin au combat, Tarrus enfonça le canon du pistolet contre le crâne de son propriétaire.
D’un ton paisible et assuré, il lui murmura ses consignes à l’oreille, si bas que je ne les entendis moi-même qu’après m’être approchée d’eux.
TARRUS : Ordonne-leur de se rendre.
Worekz ferma les yeux et poussa un soupir, réalisant enfin qu’il était vaincu et n’avait plus d’autre choix que de coopérer. Il s’éclaircit la gorge et rugit par dessus le vacarme assourdissant de la bataille qui se déroulait toujours sous nos yeux.
WOREKZ : Assez !
Reconnaissant la voix familière de leur meneur, les Orcs s’interrompirent aussitôt et levèrent leurs regards vers nous, vite imités par les Dimzadais confus. Apercevant Tarrus en position de vainqueur, certains commencèrent déjà à s’exclamer de joie sans attendre plus d’explications.
WOREKZ : La bataille est terminée. Nous avons perdu.
Tarrus dirigea d’un regard Worekz vers Jose qui l’attira à l’écart, loin des yeux de ses hommes, laissant la parole au représentant du nouveau régime. Celui-ci s’adressa à la foule d’une voix forte et assurée, comme s’il avait attendu ce moment toute sa vie. Malgré tout ce que je pensais de l’Orc, je me laissai moi-même presque convaincre par son discours.
TARRUS : Rugbura ! Aujourd’hui, nos rues sont nettoyées, libres de la corruption de Worekz.
Certains acclamèrent la nouvelle alors que d’autres se contentèrent de dévisager Tarrus d’un air perplexe.
TARRUS : Bien trop longtemps, cet homme a abusé du pouvoir qui n’était pas le sien. Ceron le rend enfin à votre maire ! Nous assurerons la sécurité de cette ville à la place de Worekz, mais nous ne le ferons pas en échange de la taxe qu’il vous imposait. Nous le ferons contre la seule chance de résider ici, avec vous, en tant que citoyens légitimes de Rugbura !
Quelques nouveaux cris de joie se firent entendre, mais Tarrus poursuivit, rugissant de plus belle pour couvrir le vacarme de son peuple.
TARRUS : Vous tous, qui avez été si fidèles à votre employeur, votre place est ici. Ceron a besoin de vous, si vous l’acceptez, pour rendre à la dernière cité des Orcs la gloire qu’elle mérite ! Rugbura ne sortira enfin de l’ombre que grâce à vous, ses soldats. Quittez enfin les galeries souterraines du Désert des Ombres et marchez à ses côtés à la surface dont vous avez été privés toutes ces années.
La foule applaudit, réduisant Tarrus au silence et laissant Husker admiratif face aux talents du nouveau porte-parole de l’armée de Rugbura. Faisant taire ses troupes d’un geste, il reprit finalement la parole, les yeux pleins de fierté alors qu’il les posait sur la victoire que nous l’avions aidé à emporter :
TARRUS : Le règne de terreur de Worekz prend fin ce matin, mais celui du peuple de Rugbura ne fait que commencer !
Tarrus fit demi-tour et s’éloigna, laissant les Orcs de Ceron célébrer aux côtés des hommes de Dimzad.
Je le rattrapai d’un pas rapide, de plus en plus furieuse alors que j’avais la désagréable impression d’être la seule personne dans la ville à voir l’escroc manipulateur qui se cachait derrière l’orateur.
VISALA : Tu penses vraiment avoir gagné si facilement ? Comment être certain que tous t’ont cru ? Ils se retourneront contre toi tôt ou tard.
TARRUS : Non. Nous leur avons offert une victoire alors qu’ils pensaient avoir tout perdu. La guerre est terminée.
VISALA : Laisse moi deviner : Ceron te l’a promis.
Il m’adressa un mince sourire mais ne répondit pas.

Nous traversâmes à nouveau les corridors étroits qui s’étendaient sous la ville, reliant tous ses points stratégiques loin des yeux indiscrets et incrédules.
Tarrus nous mena vers une nouvelle pièce, particulièrement isolée à l’une des extrémités du complexe souterrain, et nous invita d’un geste à entrer après avoir déverrouillé la porte. Méfiante, je jetai déjà un oeil à l’intérieur avant de m’y précipiter, laissant échapper un cri de joie à la découverte de la première bonne nouvelle depuis que nous avions quitté Dimzad : nos deux amis se tenaient au milieu de la grande salle, visiblement sains et saufs, et même étrangement souriants.
Je serrai Flux dans mes bras alors que Husker faisait de son mieux pour masquer l’émotion de ses retrouvailles avec son frère qu’il craignait peu de temps auparavant d'avoir perdu.
Flux, lisant l’inquiétude sur nos visages, s’empressa de répondre aux questions que nous nous posions de toute évidence :
FLUX : Nous allons bien, ils ne nous ont fait aucun mal, rassurez-vous.
La fierté revint dans le ton de Husker et la colère dans ses yeux à cette simple idée.
HUSKER : J’aurais été surpris qu’un de ce crétins ose s’en prendre à vous. Même désarmés.
JOSE : Ou à Cavil, en tous cas. Hé, Flux, content de te revoir, vieux.
Flux sourit, manifestement soulagé que toute cette histoire touche à sa fin, et répondit même à Jose d’une tape amicale sur l’épaule.
J’allais reprendre la parole, impatiente d’entendre enfin ce que Tarrus avait à dire pour sa défense après tout ce qu’il venait de nous faire subir, mais un autre Orc fit irruption, courant vers son chef pour s’entretenir avec lui discrètement, mais négligeant dans la précipitation de baisser suffisamment la voix pour nous cacher le but de sa présence.
ORC : Patron, les gens veulent savoir ce que vous allez faire de Worekz. Ils demandent à le juger sur la place.
Worekz, toujours captif de Jose, semblait plus dégoûté que réellement effrayé par le sort qui l’attendait, et afficha même un air surpris en entendant la réponse de son vieil ennemi.
TARRUS : Hors de question. Pas de justice sanglante, pas de vengeance barbare. Ces pratiques n’ont plus leur place dans notre ville. Worekz est un danger pour Rugbura et sera exilé dès aujourd’hui, livré à lui-même dans le désert. Il ne remettra jamais les pieds entre nos murs. Dis au peuple qu’ils ont gagné la guerre. Laissons-la derrière nous plutôt que de la prolonger inutilement.
L’Orc sourit, convaincu par les paroles de son supérieur, et hocha brièvement la tête avant de disparaître aussi vite qu’il été arrivé.
Worekz pouffa d’un rire méprisant avant de sortir pour la première fois du silence depuis la fin de la bataille.
WOREKZ : L’exil ? Ceron et toi n’êtes que deux imbéciles si vous croyez que je m’arrêterai là ! Cette ville est à moi, Tarrus, et je ne vous laisserai pas...
TARRUS : Je sais.
Distraits par Worekz, qui se débattait, fou de rage, menaçant d’un poing Tarrus pour souligner sa promesse de se venger, nous n’avions pas remarqué que ce dernier avait, juste un instant avant d’interrompre son discours enragé, levé l’arme qu’il lui avait confisquée quelques minutes plus tôt à l’issue du combat. Aucun de nous n’eût le temps de réagir à temps.
Tarrus tira, touchant Worekz à la tête et le tuant sur le coup.
Je poussai un cri de surprise alors que Jose m’attirait par le bras et me jetait derrière lui, dégainant à son tour son arme, immédiatement imité par Husker.
Cavil, refusant de céder à la panique, fut assez rapide et s’interposa, empêchant les deux hommes de tirer.
CAVIL : Restez calmes !
Défiant Tarrus du regard, Husker ignora son frère, le doigt serré sur la détente.
HUSKER : Donne-moi juste une seule raison de ne pas te descendre tout de suite.
TARRUS : Je suis votre seul lien avec Ceron.
HUSKER : Et qu’est-ce que je peux bien avoir à foutre de trouver cette malade à part pour lui apprendre ce qui arrive à ceux qui kidnappent ma famille ?
TARRUS : Elle seule sait ce qui est caché...
Il pointa du doigt dans la direction de Jose, laissant mes compagnons perplexes alors que j’avais déjà compris ce qu’il nous montrait.
TARRUS : ... là.
Il posa un regard confiant sur moi, convaincu qu’il avait à présent toute mon attention.
TARRUS : Seule Ceron connaît le secret enfermé dans le coeur de Slayer Jose. Et comment l’empêcher de détruire le monde.
Victorieux, il laissa tomber son pistolet à ses pieds, alors que je le dévisageais en silence, cherchant en vain quoi répondre.
Husker fit un pas en avant, agitant son arme d’un mouvement impatient, mais je l’arrêtai d’un geste de la main.
Le calme revenu bien que fragile, je lui jetai à mon tour un regard noir.
VISALA : Pourquoi devrais-je te faire confiance ?
TARRUS : Pourquoi tes amis devraient-ils te faire confiance ? Ne leur as-tu jamais menti, quand les circonstances le demandaient ?
Flux, qui se tenait depuis le début de la conversation à l’écart, observant comme à son habitude la scène d’un oeil curieux, fronça soudain les sourcils et se tourna vers moi, intrigué par l’argument de Tarrus.
TARRUS : Ceron vous a utilisés. Et j’en suis aussi navré qu’elle. Rien de tout cela ne serait arrivé si nous avions pu agir autrement, ou si Ceron n’avait pas été certaine qu’aucun mal ne vous arriverait. Ne laissez pas cette première rencontre avec elle vous tromper : elle est de votre côté. Et elle sera votre alliée la plus précieuse, le moment venu.
VISALA : Quel moment ?
TARRUS : C’est elle qui répondra à cette question. Mais pas aujourd’hui.
Il fit quelques pas vers la porte, malgré les armes de Jose et Husker toujours pointées vers lui, et s’arrêta après un moment d’hésitation. Il se tourna une dernière fois vers nous tous.
TARRUS : Rugbura est guérie d’un mal qui la rongeait depuis de années. Et c’est grâce à vous, et grâce à Dimzad. Vous avez ma reconnaissance pour cela. Non pas en tant que porte-parole de Ceron, mais en tant qu’Orc libre. Merci.
Puis, sans un mot de plus, il nous abandonna au milieu de sa forteresse alors que deux des ses hommes arrivaient déjà au pas de course pour disposer du cadavre de Worekz, comme s’ils avaient deviné ce qui venait pourtant juste de lui arriver quelques instants plus tôt.
Nous savions tous qui les avait envoyés.

De retour sous le soleil mortel du désert maintenant haut dans le ciel, nous marchâmes tranquillement jusqu’à la voiture malgré la chaleur à la limite du supportable pour un humain, toujours perturbés par les révélations de Tarrus. Husker, quant à lui, était toujours aussi remonté contre notre nouvel allié mystérieux, si toutefois c’était bien ce qu’il était.
HUSKER : Nos hommes, Cavil ! Ce sont nos hommes qui sont morts ! On ne peut pas laisser ces psychopathes s’en tirer comme ça !
Cavil, pour sa part, semblait contre toute attente particulièrement paisible, avançant d’un pas tranquille, les mains dans les poches, un léger sourire aux lèvres malgré les récents événements.
Il fit signe à Husker d’observer autour de lui les troupes de Dimzad, chantant et dansant de joie aux côtés des Orcs de Rugbura.
CAVIL : J’aime Dimzad, frangin. Je crèverais pour cette ville. Mais si ces types s’y sont retrouvés, c’est qu’un jour ils ont tout perdu. Pour eux, ce n'est qu'un trou à rats. Tu vois leurs visages ? Ils viennent enfin d’obtenir ce qu’ils désiraient le plus au monde depuis des années : une victoire. Va la célébrer avec eux, ils n’attendent que ça.
Husker songea aux paroles de son frère un instant, puis lui lança un sourire avant de s’éloigner vers un groupe de Dimzadais au pas de course.
Un instant plus tard, il chantait plus fort que tous les autres réunis.
Toujours un peu troublée, je me séparai brièvement de mes compagnons à mon tour et repérai un vieil arbre mort et desséché depuis certainement plusieurs siècles, menaçant de tomber en poussière à tout moment. J’attrapai le vieux pistolet de Tarrus, qui était toujours accroché à ma ceinture et le posai entre deux racines.
Un peu plus loin, deux Orcs chargeaient notre 4X4 de bouteilles d’eau fraîche pour la route, alors que Jose et un Dimzadais s’étaient installés de chaque côté d’une vieille barricade à moitié détruite pour un dernier bras de fer, encouragés par une dizaine de soldats déjà ivres morts.
J’entendis quelqu’un s’approcher de moi d’un pas discret que je reconnus facilement.
FLUX : Tu lui fais confiance alors ?
Ses yeux s’étaient posés sur le revolver déjà presque enfoui sous le sable chaud.
VISALA : Pour le moment.
FLUX : Tu penses vraiment qu’il le trouvera ici ?
Je jetai un oeil partout autour de moi. Nous étions observés, je le savais. Mais je n’aperçus personne derrière la foule déchaînée.
J’acquiesçai d’un hochement de tête. Quelque chose me disait que Tarrus savait déjà où chercher depuis longtemps.

Notre retour à Dimzad marqua le début d’une période de deux semaines de fête ininterrompue. Toute la population de la ville, ainsi que quelques Orcs qui nous avaient suivis pour l’occasion,entassés dans la taverne et débordant dans les rues, buvaient et dansaient jour et nuit, se battaient pour le plaisir et chantaient à la mémoire de ceux qui avaient donné leur vie au cours de la bataille qui semblait déjà loin derrière nous. Même Husker était à mon grand soulagement redevenu le barman jovial et imperturbable que je connaissais si bien, à l’affût de la prochaine occasion de nous attirer à tous de nouveaux ennuis.
Assise sur le capot d’une voiture qui n’avait pas démarré depuis plusieurs décennies, je regardais la foule profiter des meilleurs moments de leur vie, déçue de ne pas pouvoir apprécier les festivités autant que je l’aurais souhaité, déconcentrée par les révélations de Tarrus et toujours incapable de tirer les choses au clair.
Jose se laissa lourdement tomber à côté de moi dans un bruit de taule froissée et un éclat de rire.
JOSE : Tu penses à quoi ?
Je lui souris, hésitant à lui admettre la vérité. Personne n’était plus concerné que lui par les propos de Tarrus, et pourtant, il donnait l’impression d’avoir déjà tout oublié.
VISALA : Tu me connais. A rien.
Il insista d’un regard, tentant de lire dans mes yeux, mais cela n’avait jamais été son fort.
JOSE : Allez, dis-moi. Non, je sais ! Tu penses à ce scarabée qu’on a vu sur la route, et tu te dis que si on le nourrissait suffisamment il deviendrait surement assez gros pour qu'on l’utilise comme un cheval !
Je pouffai de rire alors qu’il sortait de l’une de ses poches l’insecte qu’il avait du ramasser pendant le voyage.
VISALA : Comment tu as deviné ?
Il afficha un air fier et m’adressa un clin d’oeil.
JOSE : Je sais tout.

La moto s’arrêta dans un nuage de poussière et la Meastienne jeta son casque entre les mains de Jose avant de descendre, un léger rictus aux lèvres.
ROXANE : Vous m’avez manqué, bande de bulards.
FLUX : Bienvenue parmi nous.
Roxane lui mit une tape derrière le dos et avança d’un pas décisif vers la taverne.
ROXANE : Alors, qu’est-ce que j’ai raté ?
Jose, Flux et moi nous lançâmes un regard complice accompagné d’un hochement de tête. Je souris.
VISALA : Absolument rien. Deux semaines de vacances parfaites.
Elle lâcha un éclat de rire et répondit sur un ton bien plus froid, bien que toujours relativement amical pour la jeune femme.
ROXANE : Vous pensiez vraiment pouvoir déclencher une guerre entre Dimzad et Rugbura et me le cacher ?
Je restai bouche bée, tout comme Flux, incapable de répondre. Jose brisa le silence.
JOSE : Bon, bah on aura au moins essayé, hein les gars ?
ROXANE : Je vais boire un verre, et ensuite vous aurez des explications à me donner.
Nous soupirâmes tous les trois.
VISALA : Oui madame...
ROXANE : Oh, et Visala ?
Je répondis sur un ton hésitant, craignant un peu la suite de la conversation.
VISALA : Oui ?
ROXANE : Combien de fois je vais devoir te dire de ne pas renverser de gouvernements dans mon dos ?

Malgré la fatigue accumulée ces derniers jours, je ne dormis pas cette nuit-là, contrairement au reste de Dimzad qui succomba enfin à l’épuisement et interrompit brièvement la fête pour quelques heures de sommeil.
Je sortis de ma chambre et descendis discrètement les marches qui menaient à la taverne, espérant qu’un verre d’eau, aussi trouble soit-elle, m’aiderait à me changer les idées et à m’endormir. M’approchant du bar, je repérai Flux, assis sur l’un des tabourets et adossé au comptoir, le regard paisible, une bouteille de liqueur à la main.
J’allai le rejoindre et m’installai à côté de lui.
FLUX : Bizarre, tu ne trouves pas ?
VISALA : Qu’est-ce qui est bizarre ?
FLUX : Le calme, le silence... C’est presque une ville différente.
Il me tendit la bouteille. Je hochai les épaules et en bus une gorgée.
FLUX : La chaleur ou les moustiques ?
Je lui lançai un regard confus.
FLUX : Qu’est-ce qui t’empêche de dormir ?
VISALA : Oh. Jose ronfle.
Il rit doucement.
FLUX : Il y a autre chose, non ?
Je poussai un soupir et bus une autre longue gorgée de liqueur avant de lui rendre la bouteille.
VISALA : Tu peux garder un secret, Flux ?
Il me sourit, attendant que je réalise à quel point ma question était stupide. Je repris après quelques secondes, acquiesçant pour lui.
VISALA : A X’arnas, la veille de...
Je cherchais mes mots, mais Flux avait compris et me fit signe de continuer.
VISALA : J’ai parlé à Ormus. Je savais ce qu’il avait l’intention de faire. Et je n’ai rien fait pour l’arrêter. C’est de ça que Roxane parlait, ce matin. Je n’ai jamais avoué la vérité à personne, mais je sais qu’elle se doute de quelque chose. Elle m’en veut.
Le Meastien resta silencieux quelques instants, le regard figé sur un point imaginaire au plafond que je cherchai mais ne trouvai pas.
FLUX : A ton tour de garder un secret, d’accord ?
Je fronçai les sourcils, intriguée.
VISALA : D’accord.
FLUX : Roxane est une professionnelle. Mais elle ne l’a pas toujours été. Et elle n’a jamais porté la politique dans son coeur, comme tu le sais. Ce que je veux dire, c'est qu'elle te ressemblait beaucoup, à une époque.
Il marqua une pause, comme s’il songeait à la suite de ses propos.
FLUX : Elle ne t’en veut pas. Tu oses prendre des décisions, et c’est une qualité qu’elle admire chez toi. Mais un jour, tu devras en affronter les conséquences. Et elle s’inquiète. Elle craint que tu ne sois pas prête.
Je restai pensive un instant, réalisant que je ne pouvais que donner raison à la Meastienne.
VISALA : Flux, rends-moi un service, tu veux ? La prochaine fois qu’on croise un peuple oppressé, ne me laisse pas causer une révolution par accident.
Il éclata d’un rire chaleureux et but un peu de liqueur avant de me tendre la bouteille.
VISALA : Et toi, alors ?
FLUX : Moi ?
VISALA : Qu’est-ce qui t’empêchait de dormir ?
Ses yeux dérivèrent à nouveau vers le plafond, lui laissant juste le temps de décider s’il préférait me répondre ou éviter le sujet.
FLUX : A Rugbura, dans les souterrains...
Je commençai à m’imaginer le pire, cédant rapidement à la panique.
VISALA : Vous m’avez dit qu’ils ne vous avaient fait aucun mal, que vous étiez traités comme des invités !
Flux m’arrêta d’un geste et poursuivit d’une voix rassurante.
FLUX : Et nous disions la vérité. Mais il y a autre chose.
Il fronça les sourcils, le regard toujours dans le vide.
FLUX : Elle était là, Visala. Dans la pièce, avec nous. Elle m’a parlé. Ceron.
J’avalai de travers une gorgée de liqueur et me tournai vers le Meastien, l’invitant d’un hochement de tête à poursuivre.
FLUX : Elle m'a simplement dit que je n'avais aucune raison de m'inquiéter pour vous, que tout irait bien. Elle ne m’a pas montré son visage, mais... Sa voix. C’était étrange. Je suis certain de l’avoir déjà entendue, mais je n’arrive toujours pas à savoir qui elle est. Comme si elle n’était plus qu’un souvenir...
Je ne répondis rien, buvant ses paroles, et soulagée de pouvoir enfin aborder le sujet qui me préoccupait tant avec quelqu’un.
FLUX : Et ce n’est peut-être que mon imagination mais... Je ne pense pas.
VISALA : Quoi ?
FLUX : Je crois qu’elle essayait de le cacher mais... J’en suis presque certain. Son accent...
Il vida le fond de la bouteille d’une traite et poussa un soupir, la frustration évidente sur son visage.
FLUX : Je sais que je la connais, Visala...
VISALA : Son accent ?
Il plongea son regard dans le mien.
FLUX : Je crois que Ceron est Meastienne.

FIN