Episode 5

Une main m’attrapa par la cheville et me sortit des décombres.
JOSE : Visala ! Réveille-toi !
Quelques petites gifles, plus puissantes que nécessaire, me ramenèrent rapidement à moi, même s’il me fallut quelques secondes de plus pour me souvenir de la raison pour laquelle je m’étais endormie sous un tas de pierres.
Encore un peu sonnée, j’ouvris la bouche non sans une certaine appréhension mais constatai avec surprise que des mots en sortaient toujours.
VISALA : Ma tête... J’ai l’impression qu’un camion m’est passé dessus.
Je réalisai au même moment qu’un camion aurait peut-être d’ailleurs été moins douloureux que la moitié du désert des ombres mais je décidai, soucieuse d’économiser mes forces, de ne pas en faire la remarque.
VISALA : Où sont les autres ?
Un grognement étouffé quelque part derrière moi répondit aussitôt à ma question, et je me tournai pour découvrir Husker, se relevant péniblement, manifestement plus amoché que moi par l’expérience, avec l’aide de Tarrus, qui semblait pour sa part ne s’en être tiré qu’avec quelques égratignures.
VISALA : Et Flux ? Et Cavil ?
TARRUS : Je n’ai rien pu faire. Ils les ont emmenés...
VISALA : Mais ils sont vivants ?
TARRUS : Oui. Mais les hommes de Worekz aussi.
JOSE : Orcs.
Husker attrapa Tarrus par l’épaule et le plaqua brutalement contre ce qui restait de la caverne, le visage déformé par une colère que je ne lui connaissais pas.
HUSKER : Première question, où sont-ils ? Deuxième question, que veulent-ils à mon frère ? Troisième question, qu’est-ce que TU nous veux ?
JOSE : Et quatrième, qu’est-ce que c’était que ce trésor, pas vrai les gars ?
VISALA : C’était un piège, Jose, tu te souviens ?
JOSE : Oh, c’est vrai. Ca explique l’explosion, au moins.
Husker resserra sa prise, sans la moindre résistance de la part de l’Orc qui restait d’un calme presque inquiétant malgré la situation.
HUSKER : Oui, et un piège de qui, d’ailleurs ?
TARRUS : De Ceron.
HUSKER : Qui aurait pu tous nous tuer !
TARRUS : Ceron savait que nous nous en sortirions tous indemnes.
HUSKER : Comment pouvait-elle savoir un truc comme ça ?!
Se redressant alors pour regarder le l’aîné Dimzad dans les yeux, Tarrus lui répondit d’une voix assurée, comme s’il connaissait chaque mot et chaque intonation par coeur depuis toujours, forçant même son agresseur à reculer d’un pas, déstabilisé par l’animation dont l’Orc faisait soudain preuve.
TARRUS : Ceron sait tout. Quand et comment nous mourrons, tous, et quand nous survivrons même à l’impossible. Elle connait déjà les décisions que vous-mêmes n’avez pas encore prises. Elle savait il y a des années à quel endroit et moment précis je vous trouverais dans ces tunnels dont personne d’autre dans tout Cylos n’avait jamais entendu parler avant aujourd’hui. Ceron connait le passé, le présent, et surtout le futur.
JOSE : Est-ce que Ceron sait ce que j'ai fait de mon flingue ? Parce que depuis l'explosion je le trouve plus...

Ignorant Jose, Tarrus s'éloigna de Husker d’un pas décidé et il observa rapidement nos alentours, trouvant presque aussitôt ce qu’il cherchait : la sortie. Escaladant rapidement un amas de pierres, il s’arrêta face à un tunnel à peine assez grand pour un homme -- ou Orc -- de sa taille et nous invita d’un regard à le rejoindre.
TARRUS : Ceron sait aussi comment sauver vos amis. Suivez-moi, nous avons beaucoup de route jusqu’à Rugbura.
L’Orc se pencha pour entrer dans l’étroite galerie souterraine, mais Husker ne bougea pas.
HUSKER : Si Ceron en sait autant que tu le dis, pourquoi t’envoyer à sa place ? Pourquoi n’est-elle pas venue elle-même ?
TARRUS : Vous la rencontrerez un jour. Mais il est encore trop tôt.
Sans un mot de plus, Tarrus disparut dans l’obscurité, ne nous laissant d’autre choix que de le suivre à travers le passage qui menait d’après lui à l’air libre.
JOSE : C'est bon en fait je l'ai retrouvé. Il était tombé par là-bas sous ce tas de caillasses. Foutue explosion, hein ?
Je jetai instinctivement un dernier regard derrière moi, dans la direction qu'indiquait Jose, et remarquai autre chose dépassant tout juste des décombres : une main grise, appartenant sans aucun doute à un Orc. Toute la scène me revint alors plus clairement : tous se tenaient à quelques pas seulement du coffre piégé. Comment avaient-ils pu s’en sortir ?

La nuit était déjà tombée lorsque nous sortîmes péniblement de la gueule du serpent après une escalade épuisante dont je me serais passée avec plaisir après la journée que nous venions de vivre. La lune brillait assez pour illuminer le désert d’une lueur blanche suffisante pour retrouver la voiture de Husker, que nous ne nous attendions pourtant pas à retrouver à notre disposition.
HUSKER : Heureusement que ces crétins n'ont pas pensé à la bousiller.
TARRUS : Ils ont certainement trouvé une autre sortie.
JOSE : Bah heureusement que nous on a retrouvé celle-ci parce qu'on aurait bien eu l'air con autrement.

Si Husker s’était laissé aveugler par la colère et sa soif de vengeance, j’étais pour ma part de plus en plus méfiante de Tarrus et de ses réelles intentions.
Nous nous installâmes tous et Husker démarra.
TARRUS : Nous aurons besoin d’armes.
HUSKER : J’ai bien mieux que ça.
Sans un mot de plus, il fit vrombir le moteur et nous partîmes dans un nuage de fumée en direction de Dimzad.

Husker slaloma sans ralentir entre les nombreux passants qui arpentaient chaque soir dès le coucher du soleil les rues animées de Dimzad, nous arrêta d’un coup de frein sec au milieu de la place principale, et sauta sur le capot de la voiture après avoir attrapé dans la boîte à gants un vieux porte-voix poussiéreux qui n’avait pas du servir depuis des années.
HUSKER : Dimzad ! Rejoignez-moi !
Quelques têtes se tournèrent immédiatement et la foule commença rapidement à se regrouper autour de nous. Les lumières s’allumèrent une par une aux fenêtres alors que Husker continuait d’appeler ses hommes à venir écouter son message.
Habituée au chaos dans lequel la ville baignait selon toutes les apparences, je restai bouche bée face au spectacle qui s’offrit alors à mes yeux : en l’espace de quelques minutes seulement, des centaines de personne avaient répondu à l’appel du père fondateur de Dimzad. Les bâtiments se vidaient et les rues se remplissaient d’hommes et de femmes de tous âges, se précipitant d’un air curieux vers le centre de la ville, où Husker attendit le silence complet avant de commencer sa déclaration :
HUSKER : Citoyens de Dimzad ! Votre maire, votre protecteur, mon frère, a été enlevé !
Quelques exclamations de surprise interrompirent brièvement le discours, me laissant quelque peu perplexe, surprise par la loyauté dont le peuple de Dimzad faisait preuve envers les deux dirigeants de leur ville.
HUSKER : Vous tous, que mon frère a accueillis dans les moments les plus durs, c’est aujourd’hui lui qui a besoin de vous ! Cette nuit, je pars pour Rugbura, où ses ravisseurs pensent pouvoir le garder prisonnier ! Et rien ne m’arrêtera tant que Cavil Dimzad ne nous sera pas rendu sain et sauf !
J’attrapai Husker par la cheville pour attirer son attention.
VISALA : Et Flux, aussi.
HUSKER : Et Flux, aussi !
La foule marqua une pause, manifestement confuse, mais ne se laissa pas démotiver pour autant.
HUSKER : Qui est avec moi ?
Un hurlement bestial s’éleva partout autour de nous, comme une seule et unique voix, résonnant dans la nuit et me donnant un frisson d’anticipation : je ne m’étais pas préparée à cela.
HUSKER : Aux armes !
Poussant toujours leur cri de guerre, les citoyens de Dimzad se dispersèrent, courant chacun dans la direction de leur foyer, de la taverne ou de la cache d’arme la plus proche qu’ils connaissaient, prêts à suivre Husker à l’autre bout du Désert des Ombres.
Satisfait, un rictus triomphal aux lèvres, celui-ci descendit de la voiture et en ouvrit le coffre. En arrachant le fond, il dévoila sa propre armurerie secrète et jeta un fusil à Jose et à Tarrus avant de m’en tendre un à mon tour. Le refusant d’un regard, je saisis mon arc et une flèche dans le carquois que Jose portait toujours à l'épaule.
M’adressant un sourire chaleureux, Husker me mit une tape dans le dos et s’éloigna, suivi de près par Jose.
J’allais les rejoindre également mais Tarrus m’attrapa le bras, m’attirant discrètement à l’écart. Surveillant que personne ne nous écoutait, il me parla tout bas et le plus naturellement possible pour éviter toute suspicion.
TARRUS : Je sais ce que tu as vu.
Sâchant très bien de quoi il parlait, je fis semblant de ne pas comprendre, m’interrogeant toujours sur l’honnêteté du mystérieux inconnu.
VISALA : Vu ? De quoi est-ce que tu...
TARRUS : Dans la caverne. J’ai besoin que tu me fasses confiance. Husker et Jose ne doivent rien savoir. Sans moi, attaquer Rugbura est une mission suicide. Les hommes de Worekz sont armés et bien entraînés. Et ils sont bien plus nombreux.
VISALA : Comment allons-nous les battre alors ?
TARRUS : J’ai un plan.
VISALA : Tu veux dire que Ceron a un plan ?
TARRUS : Oui.
Je lui lançai un regard sceptique, toujours incertaine, prise d’un désagréable sentiment de déjà-vu : la dernière fois que j’avais été mise dans une situation similaire, ma décision avait eu pour conséquence de propulser Ormus au pouvoir de Malthura, et je n’étais pas prête à refaire la même erreur.
Sentant ma réticence, Tarrus me regarda droit dans les yeux, semblant à nouveau connaitre sa promesse par coeur :
TARRUS : Dès que tout cela sera terminé, je répondrai à toutes tes question, tu en as ma parole.
Dévisageant l’Orc, toujours incapable de déterminer si je pouvais ou non lui faire confiance, je réalisai que le suivre était surement notre seule chance de sauver mes amis. J’acquiesçai d’un hochement de tête mais l’arrêtai à mon tour d’une main lorsqu’il commença à s’éloigner vers la foule.
VISALA : Si les hommes de Worekz sont morts dans l’explosion, qui a emmené Flux et Cavil ?
Tarrus surveilla à nouveau que personne ne pouvait l’entendre avant de me répondre tout bas :
TARRUS : Ceron.
A suivre...