Episode 2

HUSKER : Carte ?
VISALA : Yep !
HUSKER : Sandwiches ?
VISALA : Yep !
HUSKER : Liqueur ?
VISALA : Yep !
FLUX : Je maintiens qu’emporter une ou deux bouteilles d’eau pour un voyage à travers le désert peut être judicieux.
Jose lui lança un regard dubitatif.
JOSE : Bien une idée à toi, ça, hein.
Husker poussa un soupire et rajouta rapidement une ligne à sa liste de provisions.
HUSKER : De la flotte, donc, pour Flux ?
J’attrapai la bouteille d’eau que me jetait Flux et la rangeai dans le coffre à côté des cinq bouteilles de liqueur de blé qui s’y trouvaient déjà.
VISALA : Yep !
HUSKER : Une pour Visala aussi, je suppose ?
VISALA : Hé ! Qu’est-ce que je suis censée comprendre ?
HUSKER : Que tu as, genre, dix ans ?
FLUX : Ce qui rend donc ton comportement la moitié du temps encore plus douteux...
VISALA : Je suis parfaitement en âge de boire autant d’alcool que je veux !
Husker secoua la tête d’un air condescendant et jeta un oeil à sa liste.
HUSKER : Excuse-moi. Qu’est-ce que tu voudrais boire alors ?
VISALA : Un thé glacé ou un soda je suppose ?
HUSKER : Bien ce que je pensais.
VISALA : C’est seulement parce que quelqu’un doit garder les idées en place pendant que vous vous défoncez à la liqueur !
Pour la première fois, Cavil se fit entendre, une voix grave et douce s’élevant du siège conducteur du 4X4 présidentiel (comme Husker tenait à l’appeler), qui trahissait néanmoins son impatience.
CAVIL : Est-ce qu’on peut enfin partir ? On sera rentrés ce soir, pas dans deux semaines !
FLUX : Je ne voudrais pas être pessimiste mais je ne serais pas aussi confiant à ta place. Après tout nous sommes en compagnie de Jose et Husker...
Il hésita un instant à poursuivre sa phrase lorsque son regard croisa le mien mais préféra à ma grande surprise m’épargner pour cette fois. Je me promis de tenter de lui rendre sa courtoisie plus tard si j’en avais l’occasion.
CAVIL : C’est moi qui conduis, donc je sais que je serai rentré ce soir, avec ceux qui seront montés dans la voiture.
JOSE : Moi je suis avec Flux sur ce coup-là. Je suis sûr de rien.
VISALA : Oui, moi aussi, je suis d’accord.
Au moins, Flux et moi étions quittes.
Cavil poussa un soupire qui ne masquait pas son sourire assuré et fit vrombir le moteur.
CAVIL : Grimpez.

VISALA : Je dois admettre que je suis un peu étonnée, Cavil : je ne pensais pas que tu nous accompagnerais.
CAVIL : Pourquoi, parce que je suis plus mou des frères Dimzad ? Parce que je suis aussi intéressant qu’un documentaire sur l’invention du sac en plastique ?
Je déglutis, m’étant attendue à une conversation plus facile.
VISALA : Les mots de Husker, pas les miens.
HUSKER : Oui, ce sont mes mots.
VISALA : En fait, maintenant que j’y pense, ce sont très précisément ses mots.
Cavil pouffa brièvement de rire.
CAVIL : Ce crétin raconte la même chose à tout le monde.
Il marqua une pause, ajustant ses massives lunettes de soleil dans le rétroviseur.
CAVIL : Quelqu’un doit bien s’occuper de Dimzad. Une ville peuplée presque exclusivement de criminels ne se gère pas si simplement. Et mon frère...
Il jeta un regard en coin à Husker, assis à côté de lui.
CAVIL : Vous connaissez tous mon frère.
Trois "oui" à peine audibles répondirent en coeur malgré les protestations de l’intéressé.
Cavil se moqua de lui d’un rire rauque et chaleureux avant de poursuivre.
CAVIL : Quand nous étions gamins, c’est moi qui devais le convaincre de m’accompagner à l’aventure. Vous n’avez aucune idée à quel point ce type était une mauviette.
Husker sembla sursauter, visiblement outré.
HUSKER : Hé !
JOSE : En fait j’imagine assez bien.
HUSKER : Vous avez fini ?!
Cavil ricana de plus belle, satisfait d’être parvenu à retourner la situation contre son grand frère.
CAVIL : Peu importe ce que nous trouverons là-bas, probablement rien, d’ailleurs, à en juger par la façon dont Husker obtient généralement ses informations...
HUSKER : A nouveau, hé !
CAVIL : ... c’est toujours une occasion d’oublier le boulot et de repartir à l’aventure.
Cavil mit un brusque coup de volant à droite, nous faisant quitter la route à peine visible sous la poussière et manquant tout juste de nous éjecter de la voiture lorsque les roues rencontrèrent sans douceur le sol rocailleux et inhospitalier du Désert de Ombres.

FLUX : Tu ne nous as toujours pas expliqué, Husker.
HUSKER : Expliqué quoi ?
Nous avions quitté Dimzad depuis plus de deux heures, et la chaleur devenait un peu plus agressive chaque minute.
FLUX : Qui t’a donné ces informations ?
HUSKER : Un de mes indics.
FLUX : Dois-je comprendre un ivrogne au bar ?
HUSKER : Client. Mais oui. Tu sais, j’ai parfois même presque envie de les appeler mes patients. L’alcool guérit leurs douleurs les plus profondes. Je suis presque un médecin, finalement.
FLUX : Presque, oui.
JOSE : D’après cette logique je suis presque astronaute.
VISALA : Pourquoi astron...
JOSE : J’en sais rien, moi, je suis pas astronaute !
CAVIL : Qu’est-ce que c’est que ça ?
Nous interrompîmes notre conversation pour observer au loin devant nous ce qui avait attiré l’attention de Cavil et nous sauta rapidement aux yeux alors que celui-ci ralentissait prudemment : à juste quelques centaines de mètres, au beau milieu du désert, gisait une créature immense, apparemment inerte même si je n’étais pas certaine de vouloir m’en assurer.
VISALA : C’est... C’est un serpent géant !
JOSE : Non, c’est juste un très, très gros serpent.
Je tournai vers Jose un regard perplexe.
VISALA : C’est exactement ce que j’ai dit.
JOSE : Non, un serpent géant est un monstre comme dans les bouquins que lit probablement Flux quand il s’ennuie, et les monstres n’existent pas. Celui-ci est juste un serpent normal, mais... Plus gros. Parce qu’il a surement plus mangé que les autres. Ou un truc comme ça.
FLUX : Je suis aussi surpris que vous de m’entendre dire ça, mais ce que dit Jose n’est pas entièrement dénué de logique.
JOSE : Voila.
FLUX : Certains serpents peuvent atteindre des tailles tout à fait spectaculaires en vieillissant.
JOSE : Ecoute l’expert.
FLUX : Ceci étant dit, je n’aurais jamais pensé qu’un tel spécimen puisse exister...
Je croisai les bras, un peu vexée, et tournai le dos aux deux Meastiens, ce qui aurait certainement demandé moins d’effort si je n’avais pas été assise entre eux sur la banquette arrière.
VISALA : Puisque vous êtes toujours d’accord pourquoi vous ne vous embrassez pas tant que vous y êtes ?
HUSKER : Est-ce qu’on peut partir du principe qu’on se fout un peu de ce que c’est tant qu’on ne fait pas partie de son menu ?
CAVIL : Il est mort.
Nous n’étions maintenant plus qu’à une cinquantaine de mètres de l’animal et un bref regard nous apprit que la dépouille était en effet déjà décomposée depuis longtemps, et que nous ne devions notre confusion initiale qu’aux massifs lambeaux de cuir qui couvraient encore le squelette desséché.
L’odeur macabre que la chaleur étouffante ne faisait qu’empirer nous attaqua en une vague presque visible avant même l’arrêt du 4X4, nous forçant tous à enfouir nos visages sous nos vêtements pour ne pas vomir.
JOSE : Dégueulasse.
VISALA : Glurot.
Le cadavre était encore plus impressionnant vu de si près, si grand que la bête n’aurait fait qu’une bouchée de nous ainsi que de notre véhicule si elle avait été vivante.
VISALA : Qu’est-ce qui a bien pu le tuer ?
FLUX : L’âge, probablement. C’est déjà incroyable qu’il soit resté en vie si longtemps, avec si peu de nourriture dans le désert.
JOSE : Sérieusement, tu as vraiment des livres sur les serpents ? Je disais ça pour rire, tu sais ?
FLUX : Je pensais que ce genre d’information faisait partie de la culture générale...
JOSE : Même Visala est vétérinaire et elle a pas l’air de savoir la moitié de ces détails bizarres.
VISALA : Je n’ai pas terminé mes études, tu te souviens ? Je m’y connais plus en chiens qu’en reptiles. Et un peu en chats aussi.
JOSE : Pourtant Gwaimihr...
VISALA : Est-ce qu’on doit vraiment reparler de ça maintenant ?
JOSE : Non, tu as raison, tout ce qu’il y a à retenir, c’est que Flux est bizarre de savoir tout ça.
CAVIL : Et que Husker nous a encore conduits au milieu de nulle part. Nous sommes précisément à l’endroit indiqué sur la carte. Et à moins que l’un d’entre vous aperçoive une cité disparue autour de nous...
HUSKER : Elle est disparue pour une raison, frangin, utilise un peu ton imagination !
Le sourire jusqu’aux oreilles, Husker s’approcha fièrement de la gueule du serpent pour nous révéler enfin la clé du mystère, qu’il avait sans doute voulu garder secrète pour un meilleur effet dramatique : se bouchant le nez d’une main, il se faufila entre deux des gigantesques crocs encore acérés et nous fit signe de le suivre. Jose fut le premier à se décider : haussant les épaules et m’attrapant par la main, il m’entraîna avec lui où aucune personne saine d’esprit ne l’aurait suivi.
Par chance, je n’appartenais apparemment pas à cette catégorie.
Husker attendit Flux et Cavil, qui nous suivaient de près, pour dévoiler d’un geste théâtral ce qu’il semblait bien soulagé d’avoir trouvé : un peu plus loin devant nous, la queue du serpent plongeait dans les profondeurs, servant de passage secret vers la fameuse cité.
HUSKER : Knaas.
VISALA : Merci. J’avais encore oublié.
JOSE : En même temps c'est difficile à retenir.

FLUX : Je suppose que vous comptez sauter... là-dedans ?
Arrivés au bord du précipice, nous risquâmes un regard vers le fond du tunnel, plongé dans l’obscurité la plus totale.
CAVIL : La descente est plutôt raide.
VISALA : C’est assez original comme passage secret, un toboggan.
Jose éclata d’un rire bref, tournant vers moi deux yeux pétillants d’enthousiasme.
JOSE : Visala, tu es un génie !
VISALA : Vraiment ?
Arrachant d’une main deux morceaux de peau qui pendaient au-dessus de nos têtes, il m’en tendit un et s’approcha du gouffre d’un pas impatient.
FLUX : Jose, es-tu certain que c’est bien prudent ?
Haussant les épaules, il se tourna une dernière fois vers nous.
JOSE : Probablement !
Poussant un cri de joie qui résonna autour de nous, il sauta sur sa luge improvisée et disparut dans les profondeurs.
Husker attendit quelques secondes que l’écho refasse place au silence avant de prendre à son tour la parole, affichant un air satisfait.
HUSKER : Je savais que c’était une bonne idée.
Voyant que personne ne s’avançait, je me positionnai à mon tour devant la pente.
FLUX : Visala...
Il poussa un soupire, conscient qu’il ne me ferait pas changer d’avis, puis m’adressa un sourire un peu perplexe.
FLUX : Fais attention, s’il te plait.
VISALA : Ne t’inquiète pas, ça va être pecc !
Sans un mot de plus, je plongeai à mon tour.
A suivre...