Episode 7

VISALA : Et déjà, qu’est-ce que ce Worekz a fait de si horrible ?
TARRUS : A part capturer vos amis ?
Je fusillai l’Orc du regard, tentée de dévoiler à Husker et Jose ce qu’il m’avait confié avant notre départ de Dimzad.
JOSE : Evidemment, à part ça...
HUSKER : Cavil et Flux n’ont rien à voir avec votre conflit. N’essaye pas de nous convaincre que tu fais tout ça pour eux. Leur enlèvement devait même bien t’arranger, finalement : comment aurais-tu obtenu notre aide autrement ?
VISALA : Oui, Tarrus, le hasard a bien fait les choses, tu ne trouves pas ?
Je lui crachais mes mots, consciente de la situation plus que délicate dans laquelle je le mettais, mais de plus en plus décidée à lui rendre la vie impossible tant que je compromettais pas le sauvetage de nos compagnons.
TARRUS : Je sais ce que vous pensez de moi. Mais ça n’a aucune importance.
L’Orc s’arrêta brusquement et se tourna vers nous, attrapant son arme à sa ceinture.
Dans un grognement de rage, Jose le saisit par la gorge et le plaqua contre la paroi du tunnel alors que Husker s’apprêtait déjà à tirer, son vieux pistolet pointé droit sur sa tête.
VISALA : Arrêtez !
Tous s’immobilisèrent immédiatement, replongeant le corridor sombre dans un silence pesant.
VISALA : Lâche-le, Jose.
Baissant les yeux, le Meastien remarqua à son tour ce qui avait attiré mon attention et obéit sans pour autant baisser sa garde : Tarrus, tenait son arme par le canon et n’avait manifestement pas l’intention d’attaquer.
Se dégageant calmement de Jose, il me tendit le pistolet et, constatant mon hésitation, le planta entre mes mains, soutenant mon regard.
TARRUS : Je n’ai pas besoin de votre confiance. Je n’ai pas besoin d’arme. Dans quelques heures, Worekz ne sera plus une menace, et vos amis seront libres. Peu importe nos actions.
Tournant les talons, il reprit le cours de sa marche.
VISALA : C’est ce que Ceron t’a promis ?
Nous ignorant, il nous força à le rattraper pour ne pas perdre sa trace dans l’obscurité.
VISALA : Comment peux-tu avoir une telle confiance en une personne ?
TARRUS : Tu comprendrais si tu la connaissais.
VISALA : Tu es prêt à attaquer Worekz chez lui, désarmé ?
TARRUS : En quoi suis-je différent de toi ? Tu n’as pas peur, car tu sais que Jose ne laissera rien t’arriver. J’ai la même confiance en Ceron.
VISALA : Mais Ceron n’est pas là.
TARRUS : Crois-moi, Ceron n’est jamais loin...
Je restai silencieuse un instant, contemplant la dernière remarque de Tarrus et essayant de comprendre s’il ne s’agissait que d’une façon de parler ou si cette mystérieuse Ceron pouvait nous observer à ce moment-même.
HUSKER : Laisse tomber, Visala, tu n’obtiendras aucune réponse comme ça. Je connais ce genre de types, il ne dévoilera rien tant que tu ne seras pas désarmée en train de creuser ta propre tombe dans le désert avec une cuillère à café.
JOSE : Maintenant c’est cette histoire que je veux entendre, moi.
VISALA : Non, je ne vais pas abandonner comme ça.
Résolue, plus sure de moi que je ne l’avais jamais été, et plus furieuse également, je plantai mes talons dans le sol rocailleux et desséché et plongeai mon regard dans celui de l’Orc, qui s’était arrêté immédiatement et avait fait demi-tour pour me faire face, comme s’il avait deviné mes actions.
VISALA : Je ne t’aiderai pas à tuer un homme dont je ne sais rien.
TARRUS : Nous n’allons pas tuer Worekz. Juste lui retirer le contrôle de la ville.
VISALA : Pour le donner à Ceron ?
TARRUS : Pour le rendre au maire de la ville. Worekz manipule la population de Rugbura par la peur de ce qui leur arriverait sans la protection de ses hommes.
JOSE : Orcs, bigot...
TARRUS : Ceron veut leur montrer qu’ils n’ont pas besoin de lui.
VISALA : Mais plutôt d’elle.
TARRUS : Ceron protègera Rugbura, même si elle n’a rien à y gagner.
JOSE : Quel genre de con voudrait attaquer Rugbura, de toute façon ?
Ignorant Jose, mais satisfaite de remarquer l’air agacé à peine perceptible que l’Orc tentait de masquer à chacune de ses remarques, je poursuivis, déterminée à avoir le dernier mot, et persuadée que j’avais le dessus sur mon interlocuteur.
VISALA : Mais elle a quelque chose à y gagner, n’est-ce pas ?
Tarrus me fusilla du regard, mais ce n’était pas la colère que ses yeux noirs trahissaient : il semblait profondément blessé que je persiste à voir en Ceron tout ce mal qu’il ignorait, et l’hostilité que j’éprouvais jusqu’alors à l’égard de l’Orc se dissipa légèrement pour faire place à un peu de sympathie. Après tout, peut-être était-il la première victime de la manipulation de Ceron.
Baissant le ton, je fis quelque pas vers lui et m’efforçai d’effacer toute trace de rancoeur de mon visage, enfin prête à mettre fin à notre conflit.
VISALA : On peut faire beaucoup de mal, tant qu’on réussit à le justifier par assez de bien.
Satisfaite de ma victoire, et convaincue d’avoir introduit suffisamment de doute dans l’esprit de Tarrus, je passai devant lui et repris la route, mais n’eûs que le temps de faire quelques pas avant sa réponse.
TARRUS : Comme tuer Sevrilla.
Je m’arrêtai net, manquant tout juste de trébucher, et fis demi-tour, espérant qu’il n’avait pas remarqué la détresse dans mon regard mais réalisant rapidement qu’il l’avait sentie à la seconde où les mots étaient sortis de sa bouche.
Désarçonnée, je revins vers lui d’un pas agressif que je ne contrôlais plus, consciente qu’il avait à présent l’avantage et soucieuse de mettre un terme à cette conversation au plus vite.
VISALA : Sevrilla s’est suicidé.
Il approcha son visage du mien et me répondit dans un murmure pour que Jose et Husker ne l’entendent pas, mais me menaçant d’un froncement de sourcils de faire preuve de moins de discrétion la prochaine fois.
TARRUS : C’est un mensonge. Et tu le sais mieux que personne...
Il marqua une courte pose, et afficha un mince rictus.
TARRUS : Marayad’Nir.
Je restai bouche bée, comprenant alors que j’avais sous-estimé mon adversaire, et réfléchis à toute vitesse malgré le manque de coopération de mon cerveau qui criait au secours, incapable malgré tous mes efforts d’expliquer comment quiconque d’autre qu’Ormus pouvait connaître notre accord caché la veille de la mort de l’ancien général Malthuran.
Tarrus me tenait, et il le savait : à tout moment, il pouvait dévoiler mon imposture à mes compagnons, ou pire, au reste du monde, replongeant Malthura dans la guerre civile.
Percevant l’inquiétude que je ne prenais même plus la peine de dissimuler, il posa une main sur mon épaule et m’adressa un sourire léger bien que sincère, qui ne fit rien pour arranger ma confusion.
TARRUS : Rassure-toi. Ton secret est en sécurité.
Le visage à nouveau neutre et impassible, il s’éloigna d’un pas décidé.
Tout se déroulait exactement comme il l’avait prévu.

Je restai pensive le reste du trajet, la tête basse et les yeux dans le vide. Il ne me restait plus que quelques instants pour prendre ma décision, et la pression ne faisait qu’affaiblir encore plus mes capacités de réflexion.
Aider Tarrus était ma seule option pour sauver Flux et Cavil, mais je ne connaissais toujours pas ses réelles motivations et ne pouvais m’empêcher de craindre le pire si je l’aidais à mettre le contrôle de la ville entre les mains de Ceron.
Je pris une grande inspiration et m’efforçai de reprendre mes esprits, consciente que le mal de tête que je m’infligeais ne serait qu’une complication de plus quand la bataille commencerait, et que je n’avais certainement pas besoin de ça.
Me sentant observée, je finis par sortir de mes pensées et jetai un regard à ma droite. Jose me fixait d’un air perplexe depuis probablement plusieurs minutes et m’adressa un grand sourire lorsque je le dévisageai à mon tour. Sans un mot, il prit mes lunettes de soleil en forme d’étoiles dans la poche de ma veste et les posa sur son nez, m’arrachant malgré moi un bref mais réconfortant éclat de rire.
Je repensais au jour où il me les avait données, quelques heures seulement après notre rencontre, et me libérai soudain de toute l’appréhension qui me rongeait depuis notre départ de Dimzad.
Husker aussi, après un coup d’oeil dans notre direction, sembla quelque peu apaisé, ne laissant de marbre que Tarrus, concentré comme à son habitude sur sa mission.
Satisfait, le Meastien accéléra la marche, déterminé à en finir.
JOSE : Ne t’inquiète pas. Je m’occupe de tout.
VISALA : Je sais.
Il baissa d’un doigt les lunettes qui l’empêchaient de se repérer dans l’obscurité, comprenant alors pourquoi je n’avais pas pensé à les porter, et posa un bras sur mes épaules, comme il le faisait toujours pour me rassurer.
VISALA : Prends-en soin, parce que j’y tiens.

Le distant son des coups de feu nous indiqua bientôt que nous arrivions au bout du tunnel, et Tarrus leva tout doute en nous arrêtant d’un geste de la main quelques mètres avant un virage à droite.
Il nous fit à tous signe de nous approcher et de rester discrets.
TARRUS : Nous y sommes. Worekz et ses gardes du corps son derrière cette porte. Ils sont extrêmement bien entraînés et préparés à toute attaque, donc l’effet de surprise ne nous aidera pas longtemps.
Husker se tourna vers Jose et compta les balles dans les barillets de ses pistolets.
HUSKER : Tu as un plan, Jose ?
JOSE : Ouais, on entre et on fait tout pé...
TARRUS : Non. Ils sont cinq, armés jusqu’aux dents et parmi les guerriers les plus redoutables de Rugbura. Vous devez suivre mes indications à la lettre, quoi qu’il arrive, ou ils nous tueront tous les quatre.
HUSKER : Et si tu es de leur côté ?
TARRUS : Si j’étais de leur côté vous seriez morts depuis très longtemps.
Husker fusilla l’Orc d’un regard et s’apprêta à répondre mais je l’interrompis.
VISALA : Il a raison. Peu importent les intentions de Ceron, nous devons sauver Flux et Cavil.
HUSKER : Tu crois ce malade maintenant ?
Je dévisageai Tarrus, repensant à notre conversation un peu plus tôt. Aussi inconcevable que cela me semble, il n’y avait plus aucun doute : Ceron savait beaucoup de choses, et comment survivre à cette bataille en faisait certainement partie.
J’ignorais combien de temps son inexplicable don serait encore de notre côté, mais aujourd’hui, nous étions dans le même camp, même si elle seule l’avait décidé.
VISALA : Faîtes ce qu’il dit.
Jose haussa les épaules et Husker ouvrit la bouche pour rétorquer mais se retint finalement, acquiesçant d’un hochement de tête peu assuré.
Déduisant que nous étions d’accord, Tarrus nous donna enfin ses directives :
TARRUS : Jose, tu entreras le premier et tu tireras sur le garde à ta gauche, il se tiendra juste en face de la porte. Fais du bruit, attire leur attention autant que possible.
JOSE : C’est dans mes cordes.
TARRUS : Un autre t’attaquera alors par derrière, mais au corps à corps.
JOSE : Le pauvre.
TARRUS : Tu n’es pas obligé de le tuer. Il se rendra quand il réalisera qu’il est seul.
L’Orc se tourna alors vers moi.
TARRUS : Tu entreras juste derrière Jose, prête à tirer. Dès que tu auras passé la porte, mets un genou à terre et tire sur celui en face de toi, à côté de Worekz. Tu ne le toucheras qu’à l’épaule mais ça suffira à le neutraliser. Le quatrième t’attaquera à ce moment-là. Il arrivera de la gauche, à l’autre bout de la pièce, et il s’arrêtera après quelques pas pour faire feu. Husker, c’est ta cible. Sois plus rapide.
HUSKER : Fait.
TARRUS : Je profiterai de la panique générale pour traverser rapidement la pièce et m’occuper de Worekz et de son dernier garde.
HUSKER : Tu es sûr que ton plan va fonctionner ?
TARRUS : Oui. Si vous suivez précisément mes instructions, nous survivrons tous, ainsi que Worekz.
Je jetai un regard à mes compagnons et pris une grande inspiration.
VISALA : Allons-y.

Tarrus dévérouilla à nouveau la porte en entrant sur une petite console le code qu’il connaissait, et Jose l’ouvrit d’un grand coup de pied, lançant officiellement l’offensive.
Je ne le vis pas tuer le premier Orc, mais arrivai juste à temps pour apercevoir du coin de l’oeil le deuxième voler à travers la pièce et percuter un mur sans douceur, trop sonné pour se relever. Me jetant à mon tour à l’intérieur, j’obéis aux ordres de Tarrus et m’agenouillai avant de tirer, un peu trop précipitamment pour bien viser, mais touchai bel et bien l’Orc à l’épaule, le clouant au mur devant lequel il se tenait et lui faisant lâcher son arme. Troublée, je restai immobile un instant, obsédée par toutes les questions qui se bousculaient dans ma tête : comment les prédictions de Tarrus pouvaient-elles être si exactes, jusque dans les moindres détails ? Déconcentrée, je ne remarquai qu’au dernier moment le quatrième garde s’arrêter à quelques mètres de moi et lever son fusil, mais il bascula aussitôt en arrière, la poitrine criblée de balles par Husker, avant d’avoir eu le temps de faire feu. Je me mis rapidement à couvert et saisis une autre flèche, même si j’étais consciente que le conflit était presque terminé. Je levai les yeux juste assez tôt pour repérer Tarrus, le poing serré, debout devant un vieil Orc à terre, une main fermée sur son nez ensanglanté, qui ne pouvait être que Worekz.
Mais il restait le dernier garde. Ignoré, pendant le combat, il avait contourné Tarrus et se tenait maintenant derrière lui, le canon de sa mitraillette dirigé droit sur sa tête.
Je criai dans leur direction et levai mon arc mais il était trop tard. Impuissante, je regardai le doigt de l’Orc se refermer sur la gâchette alors que Jose était occupé à empêcher son deuxième adversaire de se relever et que Husker s’était précipité vers celui que j’avais moi-même immobilisé pour le restreindre également.
Tarrus se tourna et n’eût que le temps de poser son regard sur le visage de son assaillant avant le retentissement du coup de feu.
Le garde tomba en arrière dans un bruit sourd, un mince filet de sang coulant de juste entre ses yeux, où la balle l’avait touché.
Tarrus leva la tête et scruta rapidement les toits à travers la fenêtre trouée elle aussi d’un petit éclat.
Il finit par repérer ce qu’il cherchait, et je jurai moi aussi apercevoir une forme disparaître derrière la plus haute fenêtre d’un bâtiment quelques dizaines de mètres en face de nous.
Perplexe, je redirigeai mon attention vers mes compagnons et assistai pour la première fois à un spectacle inattendu : Tarrus affichait un sourire radieux dont je ne l’aurais jamais cru capable, et je compris ce qu’il avait distingué au loin, et qui l’avait sauvé d’une mort certaine : Ceron n’était jamais loin.
A suivre...