Episode 8

Tarrus saisit Worekz par le col et le força doucement mais fermement à se relever, lui ôtant son arme de la ceinture et la posant calmement contre sa tempe.
Je fis quelques pas dans leur direction, curieuse de découvrir la suite de son plan.
Dehors, à travers les vitres brisées, j’entendais encore retentir les coups de feu et les hurlements de douleur des blessés.
Visiblement aussi impatient que moi de mettre fin au combat, Tarrus enfonça le canon du pistolet contre le crâne de son propriétaire.
D’un ton paisible et assuré, il lui murmura ses consignes à l’oreille, si bas que je ne les entendis moi-même qu’après m’être approchée d’eux.
TARRUS : Ordonne-leur de se rendre.
Worekz ferma les yeux et poussa un soupir, réalisant enfin qu’il était vaincu et n’avait plus d’autre choix que de coopérer. Il s’éclaircit la gorge et rugit par dessus le vacarme assourdissant de la bataille qui se déroulait toujours sous nos yeux.
WOREKZ : Assez !
Reconnaissant la voix familière de leur meneur, les Orcs s’interrompirent aussitôt et levèrent leurs regards vers nous, vite imités par les Dimzadais confus. Apercevant Tarrus en position de vainqueur, certains commencèrent déjà à s’exclamer de joie sans attendre plus d’explications.
WOREKZ : La bataille est terminée. Nous avons perdu.
Tarrus dirigea d’un regard Worekz vers Jose qui l’attira à l’écart, loin des yeux de ses hommes, laissant la parole au représentant du nouveau régime. Celui-ci s’adressa à la foule d’une voix forte et assurée, comme s’il avait attendu ce moment toute sa vie. Malgré tout ce que je pensais de l’Orc, je me laissai moi-même presque convaincre par son discours.
TARRUS : Rugbura ! Aujourd’hui, nos rues sont nettoyées, libres de la corruption de Worekz.
Certains acclamèrent la nouvelle alors que d’autres se contentèrent de dévisager Tarrus d’un air perplexe.
TARRUS : Bien trop longtemps, cet homme a abusé du pouvoir qui n’était pas le sien. Ceron le rend enfin à votre maire ! Nous assurerons la sécurité de cette ville à la place de Worekz, mais nous ne le ferons pas en échange de la taxe qu’il vous imposait. Nous le ferons contre la seule chance de résider ici, avec vous, en tant que citoyens légitimes de Rugbura !
Quelques nouveaux cris de joie se firent entendre, mais Tarrus poursuivit, rugissant de plus belle pour couvrir le vacarme de son peuple.
TARRUS : Vous tous, qui avez été si fidèles à votre employeur, votre place est ici. Ceron a besoin de vous, si vous l’acceptez, pour rendre à la dernière cité des Orcs la gloire qu’elle mérite ! Rugbura ne sortira enfin de l’ombre que grâce à vous, ses soldats. Quittez enfin les galeries souterraines du Désert des Ombres et marchez à ses côtés à la surface dont vous avez été privés toutes ces années.
La foule applaudit, réduisant Tarrus au silence et laissant Husker admiratif face aux talents du nouveau porte-parole de l’armée de Rugbura. Faisant taire ses troupes d’un geste, il reprit finalement la parole, les yeux pleins de fierté alors qu’il les posait sur la victoire que nous l’avions aidé à emporter :
TARRUS : Le règne de terreur de Worekz prend fin ce matin, mais celui du peuple de Rugbura ne fait que commencer !
Tarrus fit demi-tour et s’éloigna, laissant les Orcs de Ceron célébrer aux côtés des hommes de Dimzad.
Je le rattrapai d’un pas rapide, de plus en plus furieuse alors que j’avais la désagréable impression d’être la seule personne dans la ville à voir l’escroc manipulateur qui se cachait derrière l’orateur.
VISALA : Tu penses vraiment avoir gagné si facilement ? Comment être certain que tous t’ont cru ? Ils se retourneront contre toi tôt ou tard.
TARRUS : Non. Nous leur avons offert une victoire alors qu’ils pensaient avoir tout perdu. La guerre est terminée.
VISALA : Laisse moi deviner : Ceron te l’a promis.
Il m’adressa un mince sourire mais ne répondit pas.

Nous traversâmes à nouveau les corridors étroits qui s’étendaient sous la ville, reliant tous ses points stratégiques loin des yeux indiscrets et incrédules.
Tarrus nous mena vers une nouvelle pièce, particulièrement isolée à l’une des extrémités du complexe souterrain, et nous invita d’un geste à entrer après avoir déverrouillé la porte. Méfiante, je jetai déjà un oeil à l’intérieur avant de m’y précipiter, laissant échapper un cri de joie à la découverte de la première bonne nouvelle depuis que nous avions quitté Dimzad : nos deux amis se tenaient au milieu de la grande salle, visiblement sains et saufs, et même étrangement souriants.
Je serrai Flux dans mes bras alors que Husker faisait de son mieux pour masquer l’émotion de ses retrouvailles avec son frère qu’il craignait peu de temps auparavant d'avoir perdu.
Flux, lisant l’inquiétude sur nos visages, s’empressa de répondre aux questions que nous nous posions de toute évidence :
FLUX : Nous allons bien, ils ne nous ont fait aucun mal, rassurez-vous.
La fierté revint dans le ton de Husker et la colère dans ses yeux à cette simple idée.
HUSKER : J’aurais été surpris qu’un de ce crétins ose s’en prendre à vous. Même désarmés.
JOSE : Ou à Cavil, en tous cas. Hé, Flux, content de te revoir, vieux.
Flux sourit, manifestement soulagé que toute cette histoire touche à sa fin, et répondit même à Jose d’une tape amicale sur l’épaule.
J’allais reprendre la parole, impatiente d’entendre enfin ce que Tarrus avait à dire pour sa défense après tout ce qu’il venait de nous faire subir, mais un autre Orc fit irruption, courant vers son chef pour s’entretenir avec lui discrètement, mais négligeant dans la précipitation de baisser suffisamment la voix pour nous cacher le but de sa présence.
ORC : Patron, les gens veulent savoir ce que vous allez faire de Worekz. Ils demandent à le juger sur la place.
Worekz, toujours captif de Jose, semblait plus dégoûté que réellement effrayé par le sort qui l’attendait, et afficha même un air surpris en entendant la réponse de son vieil ennemi.
TARRUS : Hors de question. Pas de justice sanglante, pas de vengeance barbare. Ces pratiques n’ont plus leur place dans notre ville. Worekz est un danger pour Rugbura et sera exilé dès aujourd’hui, livré à lui-même dans le désert. Il ne remettra jamais les pieds entre nos murs. Dis au peuple qu’ils ont gagné la guerre. Laissons-la derrière nous plutôt que de la prolonger inutilement.
L’Orc sourit, convaincu par les paroles de son supérieur, et hocha brièvement la tête avant de disparaître aussi vite qu’il été arrivé.
Worekz pouffa d’un rire méprisant avant de sortir pour la première fois du silence depuis la fin de la bataille.
WOREKZ : L’exil ? Ceron et toi n’êtes que deux imbéciles si vous croyez que je m’arrêterai là ! Cette ville est à moi, Tarrus, et je ne vous laisserai pas...
TARRUS : Je sais.
Distraits par Worekz, qui se débattait, fou de rage, menaçant d’un poing Tarrus pour souligner sa promesse de se venger, nous n’avions pas remarqué que ce dernier avait, juste un instant avant d’interrompre son discours enragé, levé l’arme qu’il lui avait confisquée quelques minutes plus tôt à l’issue du combat. Aucun de nous n’eût le temps de réagir à temps.
Tarrus tira, touchant Worekz à la tête et le tuant sur le coup.
Je poussai un cri de surprise alors que Jose m’attirait par le bras et me jetait derrière lui, dégainant à son tour son arme, immédiatement imité par Husker.
Cavil, refusant de céder à la panique, fut assez rapide et s’interposa, empêchant les deux hommes de tirer.
CAVIL : Restez calmes !
Défiant Tarrus du regard, Husker ignora son frère, le doigt serré sur la détente.
HUSKER : Donne-moi juste une seule raison de ne pas te descendre tout de suite.
TARRUS : Je suis votre seul lien avec Ceron.
HUSKER : Et qu’est-ce que je peux bien avoir à foutre de trouver cette malade à part pour lui apprendre ce qui arrive à ceux qui kidnappent ma famille ?
TARRUS : Elle seule sait ce qui est caché...
Il pointa du doigt dans la direction de Jose, laissant mes compagnons perplexes alors que j’avais déjà compris ce qu’il nous montrait.
TARRUS : ... là.
Il posa un regard confiant sur moi, convaincu qu’il avait à présent toute mon attention.
TARRUS : Seule Ceron connaît le secret enfermé dans le coeur de Slayer Jose. Et comment l’empêcher de détruire le monde.
Victorieux, il laissa tomber son pistolet à ses pieds, alors que je le dévisageais en silence, cherchant en vain quoi répondre.
Husker fit un pas en avant, agitant son arme d’un mouvement impatient, mais je l’arrêtai d’un geste de la main.
Le calme revenu bien que fragile, je lui jetai à mon tour un regard noir.
VISALA : Pourquoi devrais-je te faire confiance ?
TARRUS : Pourquoi tes amis devraient-ils te faire confiance ? Ne leur as-tu jamais menti, quand les circonstances le demandaient ?
Flux, qui se tenait depuis le début de la conversation à l’écart, observant comme à son habitude la scène d’un oeil curieux, fronça soudain les sourcils et se tourna vers moi, intrigué par l’argument de Tarrus.
TARRUS : Ceron vous a utilisés. Et j’en suis aussi navré qu’elle. Rien de tout cela ne serait arrivé si nous avions pu agir autrement, ou si Ceron n’avait pas été certaine qu’aucun mal ne vous arriverait. Ne laissez pas cette première rencontre avec elle vous tromper : elle est de votre côté. Et elle sera votre alliée la plus précieuse, le moment venu.
VISALA : Quel moment ?
TARRUS : C’est elle qui répondra à cette question. Mais pas aujourd’hui.
Il fit quelques pas vers la porte, malgré les armes de Jose et Husker toujours pointées vers lui, et s’arrêta après un moment d’hésitation. Il se tourna une dernière fois vers nous tous.
TARRUS : Rugbura est guérie d’un mal qui la rongeait depuis de années. Et c’est grâce à vous, et grâce à Dimzad. Vous avez ma reconnaissance pour cela. Non pas en tant que porte-parole de Ceron, mais en tant qu’Orc libre. Merci.
Puis, sans un mot de plus, il nous abandonna au milieu de sa forteresse alors que deux des ses hommes arrivaient déjà au pas de course pour disposer du cadavre de Worekz, comme s’ils avaient deviné ce qui venait pourtant juste de lui arriver quelques instants plus tôt.
Nous savions tous qui les avait envoyés.

De retour sous le soleil mortel du désert maintenant haut dans le ciel, nous marchâmes tranquillement jusqu’à la voiture malgré la chaleur à la limite du supportable pour un humain, toujours perturbés par les révélations de Tarrus. Husker, quant à lui, était toujours aussi remonté contre notre nouvel allié mystérieux, si toutefois c’était bien ce qu’il était.
HUSKER : Nos hommes, Cavil ! Ce sont nos hommes qui sont morts ! On ne peut pas laisser ces psychopathes s’en tirer comme ça !
Cavil, pour sa part, semblait contre toute attente particulièrement paisible, avançant d’un pas tranquille, les mains dans les poches, un léger sourire aux lèvres malgré les récents événements.
Il fit signe à Husker d’observer autour de lui les troupes de Dimzad, chantant et dansant de joie aux côtés des Orcs de Rugbura.
CAVIL : J’aime Dimzad, frangin. Je crèverais pour cette ville. Mais si ces types s’y sont retrouvés, c’est qu’un jour ils ont tout perdu. Pour eux, ce n'est qu'un trou à rats. Tu vois leurs visages ? Ils viennent enfin d’obtenir ce qu’ils désiraient le plus au monde depuis des années : une victoire. Va la célébrer avec eux, ils n’attendent que ça.
Husker songea aux paroles de son frère un instant, puis lui lança un sourire avant de s’éloigner vers un groupe de Dimzadais au pas de course.
Un instant plus tard, il chantait plus fort que tous les autres réunis.
Toujours un peu troublée, je me séparai brièvement de mes compagnons à mon tour et repérai un vieil arbre mort et desséché depuis certainement plusieurs siècles, menaçant de tomber en poussière à tout moment. J’attrapai le vieux pistolet de Tarrus, qui était toujours accroché à ma ceinture et le posai entre deux racines.
Un peu plus loin, deux Orcs chargeaient notre 4X4 de bouteilles d’eau fraîche pour la route, alors que Jose et un Dimzadais s’étaient installés de chaque côté d’une vieille barricade à moitié détruite pour un dernier bras de fer, encouragés par une dizaine de soldats déjà ivres morts.
J’entendis quelqu’un s’approcher de moi d’un pas discret que je reconnus facilement.
FLUX : Tu lui fais confiance alors ?
Ses yeux s’étaient posés sur le revolver déjà presque enfoui sous le sable chaud.
VISALA : Pour le moment.
FLUX : Tu penses vraiment qu’il le trouvera ici ?
Je jetai un oeil partout autour de moi. Nous étions observés, je le savais. Mais je n’aperçus personne derrière la foule déchaînée.
J’acquiesçai d’un hochement de tête. Quelque chose me disait que Tarrus savait déjà où chercher depuis longtemps.

Notre retour à Dimzad marqua le début d’une période de deux semaines de fête ininterrompue. Toute la population de la ville, ainsi que quelques Orcs qui nous avaient suivis pour l’occasion,entassés dans la taverne et débordant dans les rues, buvaient et dansaient jour et nuit, se battaient pour le plaisir et chantaient à la mémoire de ceux qui avaient donné leur vie au cours de la bataille qui semblait déjà loin derrière nous. Même Husker était à mon grand soulagement redevenu le barman jovial et imperturbable que je connaissais si bien, à l’affût de la prochaine occasion de nous attirer à tous de nouveaux ennuis.
Assise sur le capot d’une voiture qui n’avait pas démarré depuis plusieurs décennies, je regardais la foule profiter des meilleurs moments de leur vie, déçue de ne pas pouvoir apprécier les festivités autant que je l’aurais souhaité, déconcentrée par les révélations de Tarrus et toujours incapable de tirer les choses au clair.
Jose se laissa lourdement tomber à côté de moi dans un bruit de taule froissée et un éclat de rire.
JOSE : Tu penses à quoi ?
Je lui souris, hésitant à lui admettre la vérité. Personne n’était plus concerné que lui par les propos de Tarrus, et pourtant, il donnait l’impression d’avoir déjà tout oublié.
VISALA : Tu me connais. A rien.
Il insista d’un regard, tentant de lire dans mes yeux, mais cela n’avait jamais été son fort.
JOSE : Allez, dis-moi. Non, je sais ! Tu penses à ce scarabée qu’on a vu sur la route, et tu te dis que si on le nourrissait suffisamment il deviendrait surement assez gros pour qu'on l’utilise comme un cheval !
Je pouffai de rire alors qu’il sortait de l’une de ses poches l’insecte qu’il avait du ramasser pendant le voyage.
VISALA : Comment tu as deviné ?
Il afficha un air fier et m’adressa un clin d’oeil.
JOSE : Je sais tout.

La moto s’arrêta dans un nuage de poussière et la Meastienne jeta son casque entre les mains de Jose avant de descendre, un léger rictus aux lèvres.
ROXANE : Vous m’avez manqué, bande de bulards.
FLUX : Bienvenue parmi nous.
Roxane lui mit une tape derrière le dos et avança d’un pas décisif vers la taverne.
ROXANE : Alors, qu’est-ce que j’ai raté ?
Jose, Flux et moi nous lançâmes un regard complice accompagné d’un hochement de tête. Je souris.
VISALA : Absolument rien. Deux semaines de vacances parfaites.
Elle lâcha un éclat de rire et répondit sur un ton bien plus froid, bien que toujours relativement amical pour la jeune femme.
ROXANE : Vous pensiez vraiment pouvoir déclencher une guerre entre Dimzad et Rugbura et me le cacher ?
Je restai bouche bée, tout comme Flux, incapable de répondre. Jose brisa le silence.
JOSE : Bon, bah on aura au moins essayé, hein les gars ?
ROXANE : Je vais boire un verre, et ensuite vous aurez des explications à me donner.
Nous soupirâmes tous les trois.
VISALA : Oui madame...
ROXANE : Oh, et Visala ?
Je répondis sur un ton hésitant, craignant un peu la suite de la conversation.
VISALA : Oui ?
ROXANE : Combien de fois je vais devoir te dire de ne pas renverser de gouvernements dans mon dos ?

Malgré la fatigue accumulée ces derniers jours, je ne dormis pas cette nuit-là, contrairement au reste de Dimzad qui succomba enfin à l’épuisement et interrompit brièvement la fête pour quelques heures de sommeil.
Je sortis de ma chambre et descendis discrètement les marches qui menaient à la taverne, espérant qu’un verre d’eau, aussi trouble soit-elle, m’aiderait à me changer les idées et à m’endormir. M’approchant du bar, je repérai Flux, assis sur l’un des tabourets et adossé au comptoir, le regard paisible, une bouteille de liqueur à la main.
J’allai le rejoindre et m’installai à côté de lui.
FLUX : Bizarre, tu ne trouves pas ?
VISALA : Qu’est-ce qui est bizarre ?
FLUX : Le calme, le silence... C’est presque une ville différente.
Il me tendit la bouteille. Je hochai les épaules et en bus une gorgée.
FLUX : La chaleur ou les moustiques ?
Je lui lançai un regard confus.
FLUX : Qu’est-ce qui t’empêche de dormir ?
VISALA : Oh. Jose ronfle.
Il rit doucement.
FLUX : Il y a autre chose, non ?
Je poussai un soupir et bus une autre longue gorgée de liqueur avant de lui rendre la bouteille.
VISALA : Tu peux garder un secret, Flux ?
Il me sourit, attendant que je réalise à quel point ma question était stupide. Je repris après quelques secondes, acquiesçant pour lui.
VISALA : A X’arnas, la veille de...
Je cherchais mes mots, mais Flux avait compris et me fit signe de continuer.
VISALA : J’ai parlé à Ormus. Je savais ce qu’il avait l’intention de faire. Et je n’ai rien fait pour l’arrêter. C’est de ça que Roxane parlait, ce matin. Je n’ai jamais avoué la vérité à personne, mais je sais qu’elle se doute de quelque chose. Elle m’en veut.
Le Meastien resta silencieux quelques instants, le regard figé sur un point imaginaire au plafond que je cherchai mais ne trouvai pas.
FLUX : A ton tour de garder un secret, d’accord ?
Je fronçai les sourcils, intriguée.
VISALA : D’accord.
FLUX : Roxane est une professionnelle. Mais elle ne l’a pas toujours été. Et elle n’a jamais porté la politique dans son coeur, comme tu le sais. Ce que je veux dire, c'est qu'elle te ressemblait beaucoup, à une époque.
Il marqua une pause, comme s’il songeait à la suite de ses propos.
FLUX : Elle ne t’en veut pas. Tu oses prendre des décisions, et c’est une qualité qu’elle admire chez toi. Mais un jour, tu devras en affronter les conséquences. Et elle s’inquiète. Elle craint que tu ne sois pas prête.
Je restai pensive un instant, réalisant que je ne pouvais que donner raison à la Meastienne.
VISALA : Flux, rends-moi un service, tu veux ? La prochaine fois qu’on croise un peuple oppressé, ne me laisse pas causer une révolution par accident.
Il éclata d’un rire chaleureux et but un peu de liqueur avant de me tendre la bouteille.
VISALA : Et toi, alors ?
FLUX : Moi ?
VISALA : Qu’est-ce qui t’empêchait de dormir ?
Ses yeux dérivèrent à nouveau vers le plafond, lui laissant juste le temps de décider s’il préférait me répondre ou éviter le sujet.
FLUX : A Rugbura, dans les souterrains...
Je commençai à m’imaginer le pire, cédant rapidement à la panique.
VISALA : Vous m’avez dit qu’ils ne vous avaient fait aucun mal, que vous étiez traités comme des invités !
Flux m’arrêta d’un geste et poursuivit d’une voix rassurante.
FLUX : Et nous disions la vérité. Mais il y a autre chose.
Il fronça les sourcils, le regard toujours dans le vide.
FLUX : Elle était là, Visala. Dans la pièce, avec nous. Elle m’a parlé. Ceron.
J’avalai de travers une gorgée de liqueur et me tournai vers le Meastien, l’invitant d’un hochement de tête à poursuivre.
FLUX : Elle m'a simplement dit que je n'avais aucune raison de m'inquiéter pour vous, que tout irait bien. Elle ne m’a pas montré son visage, mais... Sa voix. C’était étrange. Je suis certain de l’avoir déjà entendue, mais je n’arrive toujours pas à savoir qui elle est. Comme si elle n’était plus qu’un souvenir...
Je ne répondis rien, buvant ses paroles, et soulagée de pouvoir enfin aborder le sujet qui me préoccupait tant avec quelqu’un.
FLUX : Et ce n’est peut-être que mon imagination mais... Je ne pense pas.
VISALA : Quoi ?
FLUX : Je crois qu’elle essayait de le cacher mais... J’en suis presque certain. Son accent...
Il vida le fond de la bouteille d’une traite et poussa un soupir, la frustration évidente sur son visage.
FLUX : Je sais que je la connais, Visala...
VISALA : Son accent ?
Il plongea son regard dans le mien.
FLUX : Je crois que Ceron est Meastienne.

FIN